Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/575

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

étrange étreinte, les combattants s’acheminèrent ou vers leur club, ou vers la maison familiale, ou vers la mystérieuse retraite qui abritait leur inquiétude, s’interrogeant tout bas : ils faisaient silencieusement le bilan de cette journée indécise, et sondaient la profondeur des blessures sur lesquelles la foule avait versé un moment je ne sais quel baume trompeur de paix et d’oubli.

Le pleutre Prudhomme, habile à couvrir d’une fausse sentimentalité les combinaisons mercantiles ou les calculs de la peur, passe le mot d’ordre à son journal de donner à toute la journée une couleur d’idylle. Il ne tiendrait qu’à lui que le 31 mai ne figurât pas au calendrier des révolutions, mais dans la douce série des fêtes printanières ; est-ce que par hasard on n’aurait pas célébré ce jour-là les charmes de Flore ? Et comme le cœur de Paris se fondait de bonté ingénue dans cette lumière attendrissante !

« Quelle leçon pour 200 législateurs, toujours, divisés, que l’harmonie, la fraternité qui régnaient au milieu de 300 000 citoyens ! et toute une journée s’est passée dans l’attitude la plus fière, mais la plus calme, la plus sage ! On demandait une fédération ; en est-il une plus parfaite ? et celle-ci n’a point été préméditée, mendiée ; tous les patriotes se sont levés à la fois et ont semblé dire aux calomniateurs : « Vile espèce, écris aux départements, va leur dire que Paris est une ville de meurtre et de pillage, va leur répéter que la représentation nationale court journellement des risques au sein de cette ville, et que tôt ou tard nous nous serons teints du sang des législateurs de la République. »

Ô doucereux Prudhomme, Prudhomme béat, Prudhomme paternel, relisez donc, avant de parler de « la vile espèce des calomniateurs », votre perfide article contre les comités révolutionnaires, votre article empoisonné.

L’idylle fleurie se déroule encore :

« Ah ! plutôt que tous les départements, n’ont-ils pu être les témoins de la solennité du 31 mai ? car c’était une espèce de fête nationale. Que ne peuvent-ils voir le peuple de Paris en masse, ils sauraient que s’il est sensible aux outrages, il est grand, il est généreux ! Il sait immoler ses ressentiments à ses droits et au salut de la patrie. Qu’on l’abandonne à lui-même, et il se respectera et fera respecter le dépôt précieux qu’il a en garde.

« La journée du 31 mai est véritablement son ouvrage ; et la sublimité de l’ensemble de ce spectacle n’était due ni à la Convention ni aux autorités constituées. Il n’a fallu ni décret ni arrêté pour maintenir l’ordre. Les choses ne se seraient pas si bien passées si la Convention et les autres pouvoirs ne s’étaient pas contentés d’être les spectateurs de ce mouvement, qui produira son effet. Quand il ne ferait qu’imposer silence à la calomnie, c’est déjà beaucoup. »

Tocsin des cloches ; grondement du canon d’alarme ; qu’était-ce que cela, sinon l’accompagnement de la fête ? Mais en cet effort de placidité il y a en-