Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/583

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garde de la section Bon-Conseil, toute la force armée s’est mise sous les armes.

« J’étais chez un marchand au milieu des Halles juste un moment après. Le tambour qui précédait et ceux qui suivaient ont annoncé la procession. Ah ! quel a été l’embarras de toutes nos citoyennes de la Halle ! Elles se sont concertées à l’instant pour examiner s’il n’y aurait pas de moyen de tapisser avant que la procession ne passe. Quand on ne mettrait qu’un drap, chacune aurait volontiers mis son tablier ; une partie se sont prosternées d’avance à genoux, et enfin, lorsque le Dieu a passé, toutes à peu près se sont prosternées à genoux ; les hommes en ont fait de même. Des marchands se sont mis à rôder devant. Chez eux, d’autres ont tiré des coups de fusil : plus de cent coups ont été tirés. Tout le monde approuvait la cérémonie, et aucun que j’aie entendu ne l’a désapprouvée. C’est un tableau bien frappant que celui-là. La présence d’un Dieu de paix, de notre ancien maître qui n’a pas cessé de l’être, a porté la consternation dans tous les esprits.

« C’est là que l’observateur a pu dessiner les physionomies, images parlantes des impressions qui se sont faites si vivement sentir au fond de l’âme de chacun des assistants.

« J’y ai vu le repentir, j’y ai vu le parallèle que chacun fait forcément de l’état actuel des choses avec celui d’autrefois ; j’y ai vu la privation qu’éprouvait le peuple par l’abolition d’une cérémonie qui fut jadis la plus belle de l’Église. J’y ai vu les regrets sur la perte des profits que cette fête et autres valaient à des milliers d’ouvriers. Le peuple de tous les rangs, de tous les âges, est resté honteux, silencieux, abattu… quelques personnes avaient les larmes aux yeux. Les prêtres et le cortège m’ont paru fort contents de l’accueil qu’on leur fit. »

C’est précisément de cet accueil que s’inquiète et s’indigne aux Jacobins un militaire véhément :

« Il y a trente-six heures que je devais partir, et j’ai retardé mon voyage parce que le canon d’alarme devait tirer il y a huit jours. J’ai vu avec indignation que hier la garde nationale escortait encore le Saint-Sacrement. »

Voilà le germe révolutionnaire de l’hébertisme. Ne faudra-t-il pas lutter contre cette réaction sentimentale qui alanguit la force du peuple ? Voilà aussi le signal de l’action ramassée et dictatoriale qui va se substituer, le 2 juin, à la molle entreprise du 31 mai. Car les Jacobins sont résolus à aller jusqu’au bout. La Commission des Douze est cassée :

« Mais fallait-il donc attendre jusqu’à ce jour pour détruire le monument le plus caractéristique du despotisme ? Vous n’avez pu arracher que ce soir ce décret salutaire. Ne nous reposons pas. Lâches ennemis, renoncez à votre espoir, il est chimérique et la constance de la liberté est telle qu’elle triomphera de tous vos efforts.

« … Hébert vous a dit que les membres du Comité dictatorial étaient hors la loi et qu’on pouvait courir sus. Je dis que tous les citoyens doivent