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HISTOIRE SOCIALISTE

que la géométrie transcendante, à tout ce que la mécanique et l’hydrodynamique ont de plus abstrait et de plus difficile, et l’on sait combien les navires sont utiles à la prospérité de l’agriculture et du commerce. »

Mais si la science est à ce point bienfaisante et pure, pourquoi souffrir qu’elle partage l’esprit des hommes avec les puissances de ténèbres et d’oppression ? Elle a droit à toute l’humanité comme à toute la nature. L’ombre des religions doit s’évanouir.

« Si les premières assertions de Durand-Maillane sont fort étranges, si elles déshonorent en quelque sorte et notre siècle et notre Révolution, et cette tribune, que dirais-je des principes religieux qu’il a avancés ? Durand-Maillane ne paraît avoir lu que dans les in-folio que Camus apporta à la tribune de l’Assemblée Constituante pour lui faire faire une constitution civile du clergé. Il aurait dû lire plutôt dans le grand livre de la nature, ouvert à tous les yeux, et où tous les yeux peuvent lire leur religion, si l’on veut délivrer l’espèce humaine de ces nombreux préjugés accumulés depuis tant de siècles.

« Quoi ! les trônes sont renversés, les sceptres brisés, les rois expirent et les autels des dieux restent debout encore ! (Murmures subits de quelques membres. — L’abbé Ichon demande que l’opinant soit rappelé à l’ordre.) Des tyrans outrageant la nation y brûlent un encens impie. (Mêmes murmures ; la grande majorité de l’Assemblée les couvre par des applaudissements.) Mais les trônes abattus laissent cependant ces autels à nu, sans appui et chancelants. Un souffle de la raison éclairée suffit à les faire disparaître. Et si l’humanité est redevable à la nation française du premier bienfait, peut-on douter que le peuple français, souverain, ne soit assez sage pour renverser aussi et les autels et les idoles aux pieds desquels les rois avaient su le faire enchaîner.

« Croyez-vous donc, citoyens législateurs, fonder et consolider la République française avec des autels autres que ceux de la patrie, avec des emblèmes ou des signes religieux autres que ceux des arbres de la liberté ? (De nombreux applaudissements s’élèvent dans toute l’Assemblée et dans les tribunes. Quelques membres s’agitent avec violence. On demande que les évêques qui interrompent soient rappelés à l’ordre. — « Vous nous prêchez la guerre civile », s’écrie l’abbé Audrein.)

« La nature et la raison, voilà les dieux de l’homme, voilà nos dieux.

« — L’abbé Audrein. — On n’y tient plus. (Il sort brusquement de la salle. On rit.)

« Admirez la nature, cultivez la raison ; et vous, législateurs, si vous voulez que le peuple français soit heureux, hâtez-vous de propager ces principes, de les faire enseigner dans vos écoles primaires, à la place de ces principes fanatiques que Durand-Maillane veut y substituer. Il est plaisant, en effet, de voir préconiser une religion adaptée à une Constitution qui n’existe plus, préconiser une religion monarchique dans une république,