Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/631

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Mais qu’était l’abandon de tous ces privilèges seigneuriaux tant que le privilège de la richesse continuerait à produire tous ses effets ? Que serait la liberté si elle n’était soutenue par la forte éducation de tous, et comment cette forte éducation de tous serait-elle possible dans la misère du plus grand nombre ? Lepelletier n’était ni un communiste ni un niveleur. Il ne paraît pas avoir songé un instant à changer la forme de la propriété, il ne voulait pas non plus faire passer sur les esprits un niveau égalitaire, réduire ceux qui pouvaient acquérir de hautes connaissances au degré que tous les citoyens pouvaient atteindre. Il acceptait toutes les cimes du projet de Condorcet.

« Tout le système du Comité porte sur cette base, l’établissement de quatre degrés d’enseignement, savoir : les écoles primaires, les écoles secondaires, les instituts, les lycées. Je trouve dans ces trois derniers cours un plan qui me paraît sagement conçu pour la conservation, la propagation et le perfectionnement des connaissances humaines. Ces trois degrés successifs ouvrent à l’instruction une source féconde et habilement ménagée, et j’y vois des moyens tout à fait convenables pour seconder les talents des citoyens qui se livreront à la culture des lettres, des sciences et des beaux-arts. »

Ainsi, pour les degrés supérieurs de l’enseignement, Lepelletier était avec Dupont, Ducos, Condorcet, contre Durand-Maillane : il ne voulait pas, sous prétexte d’égalité et d’austérité démocratique, abaisser l’esprit humain et en rappeler l’essor. Mais il voulait organiser le premier degré d’enseignement de telle sorte que tous les enfants, même les plus pauvres, reçoivent un commencement sérieux d’éducation, et que tous, riches et pauvres, soient façonnés, par un régime commun, par une éducation commune, à une conception nouvelle de la vie. Et de cette conception nouvelle de la vie, instituée dans tous les esprits par une première habitude, il attendait un lent et paisible renouvellement de toutes les institutions sociales, orientées vers l’égalité. L’œuvre d’éducation lui apparaissait ainsi comme l’œuvre fondamentale qui devait non seulement soutenir la société nouvelle, mais en tracer le dessin et le bilan. Il disait à son frère (voir l’édition très rare des œuvres de Michel Lepelletier Saint-Fargeau, par Félix Lepelletier ; Bruxelles 1826) :

« Il faut reprendre la France en sous-œuvre, pour ainsi dire, et de la base, fortement assise et consolidée, remonter au sommet. »

Cette base, c’était l’éducation commune, c’était aussi l’esprit communiste.

« Cette inégale répartition du bienfait des écoles primaires est le moindre des inconvénients qui me frappent dans leur organisation. J’en trouve un bien plus grand dans le système d’éducation qu’elles présentent.

« Je me plains qu’un des objets les plus essentiels de l’éducation est omis : le perfectionnement de l’être physique. Je sais qu’on propose quelques exercices de gymnastique ; cela est bon, mais cela ne suffit pas. Un genre de vie continue, une nourriture saine et convenable à l’enfance, des travaux graduels et modérés, des épreuves successives mais continuellement répétées.