Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/693

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nelle, qu’on ne dise pas que le silence du peuple a pu être regardé par l’assemblée comme une approbation de ses principes et une adhésion à ses décrets. La postérité saura qu’il s’est trouvé un homme assez courageux pour les combattre et pour protester en son nom et au nom de ses semblables contre cette violation des droits sacrés et imprescriptibles de la nature et de la justice.

« Mais, comme la sagesse et les lumières de l’Assemblée nationale sont connues par une heureuse expérience, comme elle a manifesté dans tous les moments la plus tendre sollicitude pour les pauvres et le plus saint respect pour l’humanité, nous n’élèverons aucun doute sur le véritable sens qu’on doit attacher à l’article des droits de la propriété que nous avons cité, et nous nous contenterons d’en donner l’application, en démontrant la nécessité d’un partage des terres du royaume, en faisant voir la facilité de l’exécuter, en réfutant les principales objections qu’on y pourrait opposer. »

Voilà donc que le communisme (sous la forme rudimentaire, il est vrai, du partage agraire) élève sa protestation contre l’interprétation oligarchique du droit de propriété. Il interrompt la prescription bourgeoise ; et ce n’est pas une utopie, ce n’est pas une imagination romanesque opposée nonchalamment à la réalité : c’est une revendication directe, précise, c’est l’utilisation pratique, dans un sens égalitaire, des principes qui sont formulés et des événements qui se développent. Encore un pas, et la loi agraire va se dresser en face de la Révolution, la sommer de prendre parti. Grand péril pour la Révolution qui, avant d’en avoir fini avec ses ennemis d’ancien régime, va se trouver aux prises avec des hommes nés de son propre sein, avec des fils révoltés qui réclament leur héritage et veulent donner une forme nouvelle au patrimoine révolutionnaire à peine constitué. Grand péril pour le communisme et la loi agraire qui risquent, en se heurtant trop tôt à la Révolution, de se réduire à l’état de secte. C’est ce que Babeuf comprend, avec cet opportunisme admirable que plus tard le blanquisme héritera de lui. La lettre privée, qu’à la fin de 1791 il adressa à Coupé (de l’Oise) récemment élu à la Législative, et que M. Espinas, l’ayant reçue de M. Charavay, a publiée dans son étude sur Babeuf, est à mon sens un document capital dans l’histoire du communisme et de la démocratie. Elle révèle le sens profond que Babeuf avait de la réalité, et des conditions de développement de ce que nous appelons le socialisme. Par lui le communisme cesse d’être une doctrine livresque ; il entre dans la vie de l’histoire et se plie à ses lois. Par lui, le communisme, trop faible encore pour s’emparer de la Révolution, pour provoquer et pour braver la foudre bourgeoise, tente de se glisser dans la démocratie en mouvement. Il restera secret, mais en s’insinuant à de vastes forces il participera à leur mouvement et à leur croissance sinon à leur éclat. Il mûrira lentement sous l’enveloppe de la Révolution bourgeoise, prêt à éclater quand viendra la saison ardente. En même temps, Babeuf, par une apparente contradiction,