Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/698

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nomique, d’anarchie et de concurrence capitaliste que Babeuf entend maintenir pour l’industrie ? Au fond, si l’on y prend bien garde, cette première revendication babouviste serait satisfaite si, sous une forme quelconque, un capital minimum (capital foncier ou capital mobilier) était assuré à tout citoyen. Ainsi la loi agraire, si elle ne s’élargit pas en communisme, si elle ne donne pas un caractère collectif social à la production comme à la propriété, n’apparaît guère que comme une forme de l’assurance sociale. Mais en faisant de tout le sol, inaliénable quoique divisible, le gage social de cette assurance, Babeuf annonce déjà le communisme. Ce qu’il est intéressant de noter, c’est cette souplesse, cette ingéniosité d’un esprit toujours en travail, qui ne s’immobilise pas dans des formules, et qui cherche sans cesse la meilleure adaptation possible de son idéal égalitaire aux conditions politiques et sociales toujours changeantes où il se meut. Il n’y a ni empirisme dans cet esprit hanté de l’absolu, ni doctrinarisme dans cet esprit ouvert à la vie. Et il marque en traits admirables comment c’est de l’évolution même de la démocratie poussée à ses conséquences logiques, que l’égalité sociale résultera. C’est par cette fusion avec la démocratie naissante que le communisme sort des régions abstraites et utopiques et entre dans le mouvement de la vie. Selon lui, la démocratie politique est un socialisme qui s’ignore et qui peu à peu prend conscience de lui-même. Il y a dans la méthode d’interprétation de Babeuf quelque chose de l’ironie socratique. Il va se faire l’« accoucheur » de l’esprit révolutionnaire et amener la Révolution, sans qu’elle s’en doute, à produire tout ce que contient son idée.

« Je vais vous prouver à vous-même, cher frère, et en même temps à moi, que vous partez pour l’Assemblée législative avec les dispositions de faire consacrer tout cela comme articles de loi constitutionnelle. Je vous ai dit, dans ma précédente, que mes vœux seraient : 1o que les législateurs de toutes les législatures reconnussent pour le peuple qu’Assemblée constituante est une absurdité ; que les députés commis par le peuple sont chargés dans tous les temps de faire ce qu’ils reconnaîtront utile au bonheur du peuple… De là obligation et nécessité de donner la subsistance à cette immense majorité du peuple qui, avec toute sa bonne volonté de travailler, n’en a plus. Loi agraire, égalité réelle. »

« Assemblée constituante est une absurdité » : c’est une parole vraiment révolutionnaire et géniale. Pourquoi établir des différences de profondeur entre le mandat reçu par une assemblée et le mandat reçu par l’assemblée suivante ? C’est toujours la même volonté du peuple, la même force du peuple qui s’exprime. Pourquoi dès lors reconnaître un caractère fondamental à certaines lois, à certaines institutions qui ne sont sans doute que l’expression passagère d’un mouvement social qui continue à aller bien au delà ? Prétendre constituer une société, c’est prétendre l’arrêter au premier degré d’organisation que la paresse de l’esprit ou la pesanteur des choses n’a pu