Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/701

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point songé encore, c’est, dis-je, du pauvre qu’il doit être principalement question dans la régénération des lois d’un empire ; c’est lui, c’est sa cause qu’il intéresse le plus de soutenir. Quel est le but de la société ? N’est-ce pas de procurer à ses membres la plus grande somme de bonheur qu’il est possible ? Et que servent donc toutes vos lois lorsqu’en dernier résultat elles n’aboutissent point à tirer de la profonde détresse cette masse énorme d’indigents, cette multitude qui compose l’immense majorité de l’association ? Qu’est-ce qu’un comité de mendicité qui continue d’avilir les humains en parlant d’aumônes et de lois répressives tendant à forcer un grand nombre des malheureux de s’ensevelir dans des cabanes et d’en mourir d’épuisement, afin que le triste spectacle de la nature en souffrance n’éveille point les réclamations des premiers droits de tous les hommes qu’elle a formés pour qu’ils vivent et non pas pour que quelques-uns d’entre eux seulement accaparent la subsistance de tous ?

« On a souvent parlé de donner une propriété prise sur les biens du clergé à tout soldat autrichien ou autre séide de despote qui, renonçant à exposer sa vie pour la cause du tyran, viendrait se jeter sur votre bord…

« Comment a-t-on pu songer à être si généreux envers des hommes que le seul intérêt du moment déterminerait à ne plus nous faire de mal, et oublier que nous avons le plus grand nombre de nos concitoyens qui languissent épuisés de toutes les ressources nécessaires pour soutenir leur existence ? »

Babeuf tire ainsi à lui toutes les lois, toutes les mesures d’ordre social ébauchées par la Révolution. Mais si les amis de la loi agraire n’avouent pas leur but suprême, s’ils se contentent d’y aller, sans le nommer, par tous les acheminements de la démocratie, leur programme apparent se confond avec le programme de la démocratie extrême que, dès 1791, Robespierre opposait à la démocratie semi-oligarchique de la Constitution nouvelle. Aussi, Babeuf à cette date est-il très robespierriste, et il y a, selon lui, une telle liaison, une telle pénétration de la démocratie et de la « loi agraire » qu’il va jusqu’à supposer que Robespierre étant pleinement démocrate est « agrairien ».

« Analysez Robespierre, écrit-il, vous le trouverez aussi agrairien en dernier résultat, et ces illustres sont bien obligés de louvoyer parce qu’ils sentent que le temps n’est pas encore venu. »

Mais qu’est-ce à dire ? et qui ne voit se dessiner la tactique discrète et profonde des communistes pendant la première période conventionnelle ? Si, en 1791, il était à la fois dangereux et inutile d’afficher la loi agraire et le communisme, — dangereux parce que l’égoïsme des possédants et l’aveuglement du peuple feraient payer cher au téméraire son affirmation prématurée, inutile parce que la seule évolution de la démocratie, si elle est vigoureuse et logique, suffit à réaliser l’idéal d’égalité sociale, — c’est encore plus dangereux après le