Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/707

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proposition : n’était-elle point cependant, si on la prenait à la rigueur, subversive des propriétés ? Mais la Révolution ne pouvait entrer en lutte contre le peuple : elle ne pouvait, plus précisément, entrer en lutte contre les prolétaires. Or, ceux-ci n’ayant pas de propriétés, et intéressés à limiter tout au moins les droits de la propriété, étaient sans cesse engagés sur des chemins, directs ou tournants, qui menaient à la loi agraire. La force révolutionnaire croissante du peuple et du prolétariat réduisait à l’état de lettre morte, ou à peu près, les décrets qui menaçaient des tendances populaires. Eût-il été possible, d’ailleurs, à la Convention de réprimer, de détruire tous les écrits parus avant elle et où la loi agraire et le communisme se dessinaient déjà ? Lui était-il facile de faire tomber la magnifique effervescence d’idées soulevée depuis un demi-siècle par le feu de la philosophie et de la Révolution elle-même ?

Le livre de Boissel, sur Le Catéchisme du genre humain, avait un succès grandissant. Édité, comme je l’ai dit, en 1789, réédité la même année sans changement, il avait eu une nouvelle édition « revue, corrigée et augmentée » en 1791. « Le Catéchisme du genre humain, dénoncé par le ci-devant évêque de Clermont, à la séance du 5 novembre 1789, de l’Assemblée nationale, etc. » C’est de cette édition connue comme la deuxième, que Lanjuinais constate, en 1793, la vogue croissante. Je sais bien que c’est dans une diatribe forcenée écrite par Lanjuinais proscrit dans le grenier de sa maison de Rennes, diatribe dont la proscription même n’excuse pas la violence peu intelligente :

« On sait que les meneurs du club des Jacobins en ont successivement chassé les républicains les plus purs et les plus éclairés ; mais le vide est rempli par une foule de prédicateurs de meurtre et d’anarchie, de septembriseurs obscurs ou fameux, par des Allemands, des Anglais, des Italiens, des gladiateurs, grands ouvriers en politique et stipendiés, chaque jour ou chaque semaine, pour fraterniser, anarchiser, maratiser, déraisonner, déclamer, applaudir, huer, insulter, menacer, chanter, crier, tempêter dans les clubs, dans les groupes, dans les sections, dans les tribunes et aux avenues de la Convention. Aux tribunes du grand club assistent, d’ailleurs assez régulièrement, deux ou trois milliers de curieux, d’illuminés toujours ivres de fureur à force de voir, d’entendre les sabbats, et d’y jouer leurs petits personnages. Parmi les hommes, vous trouverez les soi-disant défenseurs de la République, et, pour parler sans figure, les assassins du mois de septembre, les gardes du corps de Robespierre, toujours prêts, pourvu qu’on les paie bien, à commettre des meurtres et des violences. Entre les femmes, on distingue les dévotes de Robespierre et de Marat, des restes de débauches, enfin ce troupeau de mégères salariées, d’amazones révolutionnaires qu’on a vues s’armer de poignards, de sabres, de pistolets, s’enrégimenter, courir les rues, s’insurger contre les députés du peuple et faire la police à leur manière, autour de la