Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/726

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âmes un tribunal populaire qui connaîtra des crimes de lèse-nation, des agiotages, fraudes, monopoles et abus qui se commettraient sur les subsistances de première nécessité, sur l’accaparement et autres. »

Ce sont des mesures de circonstance intéressantes parce qu’elles contiennent quelques traits du socialisme national et municipal ; mais les formules générales de Robespierre sont bien plus riches de sens. Saint-Just est plus préoccupé de la distribution politique des pouvoirs que de la définition de la propriété. Il se borne dans son exposé des motifs à quelques maximes :

« Le principe des mœurs est que tout le monde travaille au profit de la patrie, et que personne ne soit asservi ni oisif.

« … Si vous voulez savoir combien de temps durera votre République, calculez la somme de travail que vous y pouvez introduire. »

Et il donne des rapports économiques, dans un article de la section de son projet relative à « l’état des citoyens » une formule singulièrement naïve :

« La loi ne reconnaît pas de maître entre les citoyens : elle ne reconnaît point de domesticité. Elle reconnaît un engagement égal et sacré de servir entre l’homme qui travaille et celui qui le paie. »

Mais en quoi cette déclaration était-elle applicable aux rapports déjà très complexes créés par le système croissant des manufactures ? La pensée de Robespierre qui se meut dans un ordre plus abstrait en apparence, est bien plus susceptible d’accommodation à un état économique et social changeant.

J’imagine que Robespierre, qui avait vu, après le Dix-Août, la forte poussée égalitaire que la Commune révolutionnaire victorieuse avait propagée, avait pris ses précautions pour le jour où la chute de la Gironde, déterminée par une révolution nouvelle, donnerait un vif élan au peuple. Il avait préparé et comme défini d’avance la concession nécessaire et possible. Et il avait adopté des formules théoriques et un programme pratique qui lui permettaient d’avance de rassurer la propriété et de donner satisfaction au peuple. C’est évidemment aussi à une pensée politique qu’il obéit lorsqu’il inscrit dans sa Déclaration des articles relatifs à la propagande révolutionnaire universelle.

Comment l’homme qui s’était opposé à la politique girondine de provocation pouvait-il maintenant se donner l’air de braver le monde entier ? C’est en avril, sous le coup de la trahison de Dumouriez, que Robespierre propose son plan. C’est à une heure où il importe que la Révolution, dont les puissances conjurées paraissent attendre la chute, oppose aux despotes exaltés par la trahison une contenance fière. Peut-être aussi Robespierre se dit-il tout bas que si Danton s’est compromis avec Dumouriez, s’il l’a soutenu trop longtemps, c’est parce qu’il attendait de lui des succès rapides qui permissent d’ouvrir des négociations de paix. Désirer une paix immédiate, n’est-ce pas mettre la Révolution à la merci des généraux qui tiennent dans