Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/733

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Presque partout, le vœu des pauvres, des prolétaires, était donc très nettement prononcé pour le partage. Marat a publié dans son journal plus d’une lettre où le partage était demandé au nom des pauvres, où l’égoïsme des riches propriétaires qui s’y opposaient était violemment dénoncé. Personne ne proposait alors une utilisation vraiment communiste des biens communaux.

Il aurait fallu enlever aux habitants le droit qu’ils avaient en qualité d’habitants et réserver l’exploitation des communaux aux sans-propriété sous la condition qu’ils transformeraient en culture active la jouissance inerte et routinière qui condamnait à l’improductivité des milliers d’arpents. Mais, je le répète, cette idée n’était suggérée par aucun révolutionnaire : et je n’ai qu’à rappeler que le communiste Babeuf, à la fin de 1791, concevait le communisme sous la forme d’un partage égal, garantissant le droit inaliénable de tous les citoyens, pour comprendre combien était fort le mouvement en faveur du partage, et combien sont artificielles les critiques faites après coup, du point de vue communiste, aux révolutionnaires bourgeois. Le seul conventionnel qui combattit le plan de partage définitif apporté par le Comité d’agriculture, Souhait, ne demanda pas un aménagement communiste, une exploitation commune intensifiée et perfectionnée. Il demanda que les partages fussent temporaires. Et, bien loin d’entrevoir dans ce partage renouvelé un moyen d’émancipation pour tous les citoyens, il n’y voyait qu’un habile substitut de l’aumône et un expédient conservateur. Il prévoyait la pauvreté éternelle, et l’éternelle nécessité d’avoir sur toute l’étendue de la France des domaines disséminés où l’on pût appeler de génération en génération les indigents qui s’accumulaient dans les villes, au grand péril de l’ordre et de la propriété. Des colonies de travail, pour prohiber la mendicité et garantir la sécurité des possédants, voilà, au fond, le système de Souhait.

« Il s’agit, aujourd’hui, de régler le partage des biens communs. Il s’agit de savoir s’il doit être définitif, c’est-à-dire si chacun doit jouir en toute propriété de la portion qui lui écherra. C’est l’opinion du Comité d’agriculture. Il faut démontrer qu’elle est, sous tous les rapports, contraire à l’intérêt général et particulier ; il faut prouver que le partage temporaire, renouvelé à certaines époques, établi d’après une répartition plus juste et plus exacte, est le seul qu’il convient d’accepter ; il faut dans cette grande question, indiquer le but que nous devons atteindre et dire, avec courage, que si nous pouvons nous mêler du patrimoine de l’indigence, ce n’est que pour en régler le bon usage et non pour l’aliéner et le détruire.

« Remarquons, d’abord, que la convention de nos pères est une donation en faveur de l’indigence de leurs descendants. Et depuis quand aurions-nous le droit de disposer des biens qui appartiennent aux générations futures ? Depuis quand aurions-nous le droit de leur ravir des biens dont nous ne sommes que les dépositaires ? La pauvreté meurt-elle jamais ? Les communes