Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/742

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soulever des controverses qui arrêteraient sa marche, ni éveiller des inquiétudes qui serviraient peut-être la contre-révolution.

Le contre-poids aux abus possibles de la propriété n’est pas dans les mots ou les formules ; il sera dans la force même du peuple exerçant son droit vigoureusement. Aussi, la Constitution de 1793 marque bien (ce qu’avait négligé complètement le projet girondin) que les efforts politiques des hommes ont un but social. Elle proclame, dès l’article premier des Droits de l’Homme, en une formule qui fit sans doute la joie de Babeuf, que « le but de la société est le bonheur commun ». Elle emprunte, dans l’article 6, la définition de la liberté naguère proposée par Robespierre :

« La liberté est le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui ; elle a pour principe, la nature ; pour règle, la justice ; pour sauvegarde, la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. »

Elle reproduit l’article de Saint-Just sur les rapports des salariés aux maîtres :

« Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre ou être vendu. Sa personne n’est pas une propriété aliénable. La loi ne reconnaît point de domesticité ; il ne peut exister qu’un engagement de soins et de reconnaissance entre l’homme qui travaille et celui qui l’emploie. »

Elle consacre le droit à la vie et le droit au travail, dans les termes suggérés par Robespierre :

« Les secours publics sont une dette sacrée. La société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler. » Mais la fameuse formule sur « la portion de biens garantie par la loi » ne reparaît point ; et la Déclaration des Droits du 24 juin reproduit sur la propriété la tranquillisante formule de la Déclaration girondine (art. 16) :

« Le droit de propriété est celui qui appartient à tout citoyen de jouir et de disposer à son gré de son bien, de ses revenus, du fruit de son travail et de son industrie » (le capital, la rente, le bénéfice).

Bien mieux, la Déclaration, au lieu d’exempter, comme le faisait le projet de Robespierre, le minimum nécessaire à l’existence de tout impôt, consacre expressément l’obligation pour tous les citoyens, même les plus pauvres, de concourir aux charges publiques :

« Nul citoyen, dit l’article 101, n’est dispensé de l’honorable obligation de concourir aux charges publiques. »

Non seulement Robespierre ne lutta pas pour faire adopter ses formules ; non seulement il ne fit aucun effort pour imposer sa définition de la propriété, mais, au sujet de l’impôt, il déclara, non sans noblesse, que la réflexion avait modifié ses vues, que dispenser un citoyen de tout impôt, c’était en faire une sorte de citoyen passif, et que la dignité morale et le crédit po-