Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/755

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jour. Députés de la Montagne, que n’êtes-vous montés depuis le troisième jusqu’au neuvième étage des maisons de cette ville révolutionnaire, vous auriez été attendris par les larmes et les gémissements d’un peuple immense, sans pain et sans vêtements, réduit à cet état de détresse et de malheur par l’agiotage et l’accaparement, parce que les lois ont été cruelles à l’égard du pauvre, parce qu’elles n’ont été faites que par les riches et pour les riches.

« Ô rage ! ô honte du xviiie siècle ! Qui pourra croire que les représentants du peuple français qui ont déclaré la guerre aux tyrans du dehors, ont été assez lâches pour ne pas écraser ceux du dedans ! Sous le règne des Sartines et des Flesselles, le gouvernement n’aurait pas toléré qu’on fît payer les denrées de première nécessité trois fois au-dessus de leur valeur ; que dis-je, ils fixaient le prix des armes et de la viande pour le soldat, et la Convention nationale, investie de la force de vingt-cinq millions d’hommes, souffrira que le marchand et le riche égoïste leur portent habituellement le coup de la mort en taxant arbitrairement les choses les plus utiles à la vie ! Louis Capet n’avait pas besoin, pour opérer la contre-révolution, de provoquer la foudre des puissances étrangères ; les ennemis de la patrie n’avaient pas besoin d’inonder d’une pluie de feu les départements de l’Ouest : l’agiotage et les accaparements suffisent pour renverser l’édifice des lois républicaines.

« 1o On dit : « C’est la guerre qui en est cause » ; mais il y avait la guerre sous Louis XIV, et l’agiotage n’existait pas. Sous le prétexte de la guerre, est-il permis au marchand de vendre la chandelle, le savon et l’huile six francs la livre, et le sans-culotte doit-il payer une paire de souliers (comme une chemise et un chapeau) cinquante livres ?

« 2o C’est le papier, dit-on, qui est cause de cette cherté. — Les sans-culottes ne s’aperçoivent guère qu’il y en a beaucoup en circulation.

« 3o Mais les assignats perdent beaucoup dans le commerce. — Pourquoi les banquiers en remplissent-ils leurs coffres ? Pourquoi ont-ils la cruauté de diminuer le salaire de certains ouvriers et n’accordent-ils pas une indemnité suffisante aux autres ?

« 4o Mais l’étranger n’accepte que des paiements en argent. — C’est faux, car on accepte le papier. Si on ne l’acceptait pas, les espèces métalliques en circulation ne suffiraient pas pour les opérations commerciales. Donc les banquiers et les agioteurs discréditent les assignats pour vendre plus cher leur argent et pour faire le monopole.

« 5o On ne sait comment les choses tourneront. — Nous allons l’apprendre aux accapareurs. Le peuple veut la liberté et l’égalité, la République ou la mort.

« Les agioteurs s’emparent des manufactures, des ports de mer, de toutes les branches du commerce, de toutes les productions de la terre, pour faire mourir de faim, de soif, de nudité les amis de la justice, et les déterminer à se jeter dans les bras du despotisme. »