Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/757

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tre, digne émule des fanatiques de la Vendée. Mais l’espoir des tyrans sera encore frustré : nous sauverons Paris qu’il voudrait perdre…

« Je demande que le président ordonne à cet homme de se retirer, et que le Comité de législation soit chargé de faire un rapport sur les moyens de diminuer provisoirement le prix des denrées. »

Sous l’orage, les délégués qui accompagnaient Jacques Roux faiblirent ; l’un d’eux le désavoua et dit que ce n’était pas là le langage adopté par la section des Gravilliers. Robespierre s’empara de cette parole, et, tandis que les pétitionnaires étaient admis aux honneurs de la séance, Jacques Roux fut chassé de la Convention et il sortit sous les huées.

Chassé ! Mais l’orateur même qui le flétrissait demandait en hâte une loi pour réduire le prix des denrées. La faute de Jacques Roux n’était pas de réclamer des mesures législatives pour remédier à la crise économique. Il avait bien raison de rappeler à la Montagne qu’il ne suffisait pas de formuler la liberté politique, qu’il fallait garantir la vie. Et la plupart de ses propositions étaient loin d’être utopiques. D’ici quelques mois, elles seront adoptées ; elles entreront en vigueur : une loi terrible sera portée contre les agioteurs et les accapareurs ; le commerce de l’argent monnayé sera prohibé ; toutes les denrées seront taxées dans toute l’étendue de la République. Mais il y avait dans son discours bien des erreurs, bien des tendances dangereuses, un arrière-fond de perfidie et de venin que la contre-révolution pouvait aisément exploiter. D’abord, lui qui criait : « Vive la vérité ! » il ne disait pas au peuple la vérité. Il n’est pas vrai que la hausse des denrées et le discrédit de l’assignat fussent uniquement ou même surtout la conséquence de manœuvres d’agiotage et d’accaparement. La guerre contre l’Europe, les énormes achats faits pour l’entretien d’armées immenses et l’approvisionnement des places fortes sur toutes les frontières, la méfiance de l’étranger à l’égard de l’assignat, la surabondance du papier émis, la rentrée trop lente des annuités dues par les acquéreurs de biens nationaux : tout contribuait à la crise économique. Les agioteurs et les marchands pouvaient l’aggraver ou l’exploiter : ils ne la créaient pas. Il y aurait eu beaucoup plus de vérité, beaucoup plus de noblesse et aussi d’esprit vraiment révolutionnaire à dire au peuple :

« Oui, la cherté des denrées, oui, le malaise présent sont, pour une part, la conséquence de la Révolution et des luttes qu’il faut soutenir pour elle. Mais c’est au prix de ces souffrances passagères, c’est au prix de ces sacrifices qui deviennent héroïques s’ils sont joyeux, que s’achète la liberté et que se conquiert l’avenir !… »

À concentrer ainsi sur les opérations des marchands toute l’attention du peuple et toutes les responsabilités, Jacques Roux engageait les sans-culottes dans une voie sanglante et sans issue ; car même les lois les plus sévères contre l’accaparement et l’agiotage n’empêcheraient pas que toujours on pût