Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/771

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

gèrent de tant de fausses inculpations que je fus attaché en croix et mis à mort comme un scélérat.

« Pauvres sans-culottes, bonnes gens des campagnes, ne vous laissez pas tromper par vos prêtres : prenez mon évangile, je vous le répète, et vous verrez que vos prêtres n’en veulent qu’à vos propriétés ; ils vous vendent à prix d’argent le paradis qui ne peut s’acheter que par de bonnes œuvres. »

Est-ce Jésus qui est devenu Hébert ? Est-ce Hébert qui est devenu Jésus ? J’ai cru remarquer, cependant, que le « sans-culotte Jésus » a des faiblesses : il ne jure pas, il ne dit pas : « Lisez, foutre, mon évangile. » Ce sera sans doute pour son prochain sermon : il se formera. Mais comment la guerre civile ne serait-elle pas bientôt noyée dans ces fadeurs ? Surtout, que personne ne prenne peur. Ceux qui croient qu’une partie du peuple de Paris a massacré des prisonniers dans les journées de septembre, ne savent pas un mot d’histoire :

« On nous fout au nez les massacres des 2 et 3 septembre, quoique ces massacres aient été faits par des étrangers. »

J’aime mieux Marat, quand il en prend la responsabilité.

Surtout que les révolutionnaires ne se querellent pas, qu’ils ne se divisent pas. Le péril est grand et il ne peut être conjuré que par l’union.

Hébert écrit dans le numéro 245, peu après le 31 mai :

« Jamais, foutre, nous n’avons été si près de la contre-révolution… Je le dis et je le répéterai toujours : si nous ne nous entendons pas, si nous ne sommes pas tous unis comme des frères, nous sommes foutus et contre-foutus. Non seulement, comme l’a dit le prophète Isnard, on cherchera sur les rives de la Seine le lieu où exista Paris, mais les bords de la Garonne seront également dévastés. Tandis, foutre, que nous nous mangerons le blanc des yeux, les ours du Nord, les tigres d’Espagne, conduits par des prêtres, fondront sur nos départements… Ne vous souvient-il plus que de tout temps l’Angleterre a été l’ennemie de la France ?… Ces buveurs de bière ne nous pardonnent pas d’avoir des départements qui produisent de la vigne. »

La fumée qui s’exhale de la pipe du père Duchesne est à la fois fraternelle et guerrière : c’est, pour les patriotes, la fumée du toit hospitalier qui les abritera tous ; c’est, pour les ennemis, la fumée du canon vengeur qui les abattra tous.

Cependant, dans l’esprit d’Hébert, un vaste plan d’ambition s’est formé, qui se lie aux ambitions de la grande Commune. Hébert était fatigué d’entendre parler du « triumvirat » de Marat, de Robespierre et de Danton. N’était-il donc, lui, qu’un bouffon en sous-ordre, l’amuseur grossier des faubourgs ? Il ferait bien voir à tous qu’avec ses jurements il arriverait haut, et qu’il avait en lui, tout comme Danton, Robespierre et Marat, l’étoffe d’un