Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/788

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

juin et de juillet il semble voisin d’Hébert et de ses amis : il ne les aurait probablement pas suivis jusqu’au bout. Et, devenu un obstacle à leur ambition impatiente, il aurait été calomnié lui aussi et probablement dépassé. Ou bien, pour rester à l’avant-garde du mouvement, et dans l’exaspération de la révolte lyonnaise, de la trahison toulonnaise, il se serait emporté à des fureurs meurtrières, et engagé à fond dans la politique hébertiste. On ne peut dire avec certitude s’il aurait guillotiné les hébertistes ou s’il eût été guillotiné avec eux.

À peine mort, hébertistes et Enragés se disputent sa popularité et son nom. Jacques Roux prétendit continuer le journal. Il fit paraître « l’Ami du Peuple par l’ombre de Marat ». Décidément, il ne manquait pas d’audace. Après l’article terrible du 4 juillet, Jacques Roux s’était rendu chez Marat, comme nous l’apprend un rapport de police de Greive au Comité de sûreté générale :

« Les citoyens Grosnier, Allain et Greive, de la section de Marseille, s’étant trouvés chez le citoyen Marat mardi neuf de ce mois dans la matinée, Jacques Roux s’est présenté pour demander à Marat la rétractation de ce qu’il avait écrit à son sujet dans son journal, en disant qu’il avait laissé chez lui son extrait baptistaire qui prouvait qu’il ne s’appelait pas Renaudi, comme Marat l’avait dit. Marat lui a répondu avec la fermeté qui l’a toujours caractérisé… Roux lui a répondu sur le ton le plus patelin, le langage le plus faux, d’une manière enfin à le rendre à nos yeux aussi vil que dangereux.

« Aussitôt que Marat l’eut congédié et avant de descendre l’escalier au bout d’un long palier, il s’arrêta un moment et lança sur Marat un regard prolongé de vengeance impossible à dépeindre, tel enfin qu’il nous laissa à tous l’impression la plus profonde. Aussi, dès l’instant que nous avons appris la mort funeste de Marat, nos soupçons, ceux de Greive surtout, ont tombé sur-le-champ sur ce prêtre vindicatif. »

Et c’est au moment où on le soupçonnait ainsi d’avoir été le complice de Charlotte Corday que Roux s’emparait du nom de Marat. Il tentait de reprendre pied à la Commune. Il y expliquait, le 17 juillet, la fameuse adresse en disant que quelques expressions qui avaient choqué étaient l’effet d’une « imagination pétulante ». Il cherchait ainsi à faire consacrer l’acte audacieux par lequel il saisissait l’héritage politique et populaire de Marat.

Mais à la même heure, Hébert s’écriait aux Jacobins (21 juillet) :

« S’il faut un successeur à Marat, s’il faut une seconde victime, elle est toute prête et bien résignée : c’est moi ! Pourvu que j’emporte au tombeau la certitude d’avoir sauvé ma patrie, je suis trop heureux ! Mais plus de nobles ! plus de nobles ! les nobles nous assassinent ! »

Le cœur embaumé de Marat fut suspendu, comme une relique, à la voûte des Cordeliers : voilà le sanctuaire de la Révolution ! Robespierre irrité de la manœuvre, proteste contre l’excès des honneurs funèbres. « Jalousie »,