Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/79

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par le tribunal criminel de Paris, ou par une cour nationale, ou encore par tous les départements ? »

C’était faire table rase de tout le travail, de tous les votes de la Convention. Et non seulement Daunou prévoyait dans ses questions l’appel au peuple, mais aussi que le vote sur l’appel au peuple pouvait être ajourné à la fin de la guerre « La question de la confirmation du jugement par la nation sera-t-elle ajournée à la fin de la guerre ou à l’époque de l’acceptation de la Constitution ? » Daunou indiqua, sans les motiver, toutes ces questions. Et ce travail étrange d’un juriste minutieux, qui semblait étranger aux événements, ne fut même pas discuté par la Convention.

Comment Michelet a-t-il pu voir dans cette assez pénible élaboration juridique, sans vigueur, sans éclat et sans effet possible, une puissante manœuvre de Danton pour sauver Louis XVI ? Si Danton avait voulu tenter une diversion en cette question redoutable, s’il avait voulu essayer de rompre en ce point le courant révolutionnaire, il aurait fait un effort de passion et d’éloquence. La méprise de Michelet est à peine concevable, et il y a bâti tout un système.

« Que Louis XVI fût jugé, condamné, cela était très utile, mais que la peine le frappât, c’était frapper tout un monde d’âmes religieuses et sensibles… Le moyen qu’employa Danton, le seul peut-être qu’il pût hasarder dans l’état violent des esprits, lui Danton, lui dont la Montagne attendait les plus violentes paroles, ce fut, sans préface ni explication, de présenter une liste de questions très nombreuses, habilement divisées, où revenait par deux fois, sous deux formes, la question capitale : La peine, quelle qu’elle soit, sera-t-elle ajournée après la guerre ? Danton, évidemment, mettait une planche sur l’abîme et tendait la main, invitant à passer dessus. On devait croire que la Gironde s’empresserait de passer la première, de donner l’exemple au centre. La Montagne resta muette d’étonnement. Un seul homme réclama, et un homme secondaire (c’était Garnier de Saintes). Robespierre n’eut garde de rien dire. Il regarda froidement si Danton allait se perdre en avançant vers la Gironde. Mais Danton n’avança pas. »

À vrai dire, rien n’égale le trouble de la vue de Michelet sur Danton à cette période. Non seulement il croit que Danton a fait, le 14, cette suprême tentative pour sauver le roi. Non seulement il croit que si Danton, le 15 janvier, n’a pas pris part aux deux scrutins, c’est parce qu’il était découragé par son insuccès du 14 : « L’échec du 14 l’avait dégoûté, découragé ; c’est la seule explication de cette absence déplorable » ; mais je relève encore la même erreur, compliquée encore d’une légère erreur de date, pour la séance du 9 janvier. Un peu plus loin, Michelet, parlant de Cambacérès, « le jeune et doux Cambacérès », dit : « Il se rapprochait volontiers des hommes qui avaient au plus haut degré la qualité qui lui manquait à lui-même, je veux dire l’énergie virile… Seul dans toute la Convention, il appuya Danton, au 9 janvier,