Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/802

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coalition une sorte de distraction et d’incertitude traînante. La France se donnait tout entière ; elle jetait dans la guerre pour la liberté toute sa fortune, toute son âme. Comme elle méritait de vaincre pour l’humanité !

Sommation est faite aux généraux de comprendre les temps nouveaux. Toute défaite sera une trahison, car toute défaite révélera une sorte de discordance entre le génie du chef et le génie de la Révolution. Custine, récemment rappelé à Paris pour s’expliquer, est-il un traître, dans la rigueur du mot ? Non, il n’a pas projeté de livrer ses armées à l’ennemi. Il n’a noué aucune intrigue comme celles de Dumouriez. Il désire vaincre. Mais il s’imagine qu’il fait grand honneur à la Révolution en commandant ses armées. Il n’a ni le feu, ni la vigueur, ni l’audace nécessaires. Partout où il a commandé, l’ennemi s’est emparé des places fortes occupées par les Français. En Allemagne, c’est le désastre de Francfort, c’est la capitulation de Mayence. Dans le Nord, c’est la chute de Condé, de Valenciennes ; c’est partout un esprit d’hésitation, d’abandon.

Que sa tête tombe, pour que la sanglante leçon mette les généraux au pas de la Révolution. Robespierre presse le jugement de Custine. Celui-ci est condamné à mort le 27 août : accablé d’une sentence qu’il comprend à peine, ce n’est pas à l’orgueil révolutionnaire, c’est aux prières du passé qu’il demande la force de mourir ; il s’agenouille sur les premiers degrés de l’échafaud, où tant d’autres bientôt, pleins de la Révolution qui les frappe, monteront avec une sorte d’insolence. Voici la tête de Custine. Ô généraux ! prenez garde ! C’est seulement dans la victoire que vous échapperez à la guillotine ! La France, en se mettant toute entière sous le glaive, vous a mis sous le couteau.

Ainsi, en ces jours d’août, s’enfle la force révolutionnaire, et que pourrait craindre l’océan ainsi soulevé jusqu’en ses abîmes ? Mais voici que deux grands et redoutables événements vont, aux premiers jours de septembre 1793, changer en une sorte de fureur la passion de colère et d’espérance qui animait le peuple exalté et souffrant. D’abord, c’est la crise des subsistances qui arrive à son paroxysme. Depuis des mois elle allait s’aggravant. À mesure que les attaques se multipliaient, à mesure que la guerre plus étendue exigeait de plus longs convois de vivres et rendait plus difficile à la France de s’approvisionner au dehors, le prix des denrées les plus nécessaires allait croissant. Comment remédier à cette cherté ? Les théoriciens, les systématiques proposaient leurs théories et leurs systèmes. Eux, c’est tout le régime de la propriété terrienne qu’ils veulent modifier.

Dolivier et Lange donnaient le plein essor à des pensées d’abord contenues ou timidement exprimées. Dolivier se décide à publier son « Essai sur la justice primitive pour servir de principe générateur au seul ordre social qui peut assurer à l’homme tous ses droits et tous ses moyens de bonheur. » C’est sans doute vers la fin de juillet 1793 qu’il le fit paraître.