Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/812

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Il avait des raisons décisives de politique et de prudence, mais au fond c’est bien une loi agraire qu’il proposait, c’est même le seul plan complet et lié de loi agraire qui ait été proposé sous la Révolution. Pour démarquer son idée de ce nom fâcheux, il est obligé de supposer que la loi agraire implique une sorte de prise de possession grossière et brutale, sans précaution, sans transition, sans ménagement. Mais c’est une supposition tout à fait arbitraire.

« Peut-être est-il à craindre qu’un premier aperçu de cet essai ne fasse naître l’idée de la loi agraire, dont il paraît que l’on a voulu faire un instrument de troubles ; mais, pour ne pas les confondre, il suffit de les comparer entre eux et dans leurs conséquences. Tout mon raisonnement porte sur un principe permanent de justice qui assure successivement à chacun ses droits (modifiés) de nature, que j’appelle son légitime de rigueur, et qui lui garantit la jouissance pleine de ses acquêts, fruit de ses travaux et de son industrie ; en un mot, je remonte à l’essence même du droit de propriété devenu, par une fausse application, la cause fatale des abus énormes, des malheurs sans fin dont nous sommes tantôt coupables et tantôt victimes, et je le rétablis dans ce qu’il doit être pour devenir une source féconde de toute espèce de biens.

« La loi agraire, au contraire, loin d’établir quelque principe, ne fait que les renverser, les briser tous. C’est purement un partage des terres, brusquement provoqué par la convoitise de ceux qui n’ont rien, n’importe comment, et qui laisse subsister le même vice qu’il l’a amené…

« Dans mon système nul ne peut être lésé, car nul, en venant au monde, n’y ayant plus de droit qu’un autre, nul, par conséquent, n’a celui de se plaindre de n’y trouver que sa juste part au droit commun, sauf à lui à la faire plus ou moins valoir ; mais la loi agraire, pour établir une apparente égalité, encore qui ne saurait être que momentanée, blesse à tort et à travers, sans égard même pour les différences que les droits d’acquêts de chacun doivent y mettre. Ainsi, l’homme dont les possessions sont le fruit de son talent, de ses services, du bon emploi de sa jeunesse, s’en trouverait tout à coup dépouillé et réduit au niveau de celui qui n’aurait rien mérité ou même qui n’aurait fait que dissiper… Je laisse maintenant à juger de l’immense distance qu’il y a entre l’un et l’autre. »

Babeuf qui avait la brochure de Dolivier (j’ai déjà dit qu’elle fut saisie avec ses papiers le jour de son arrestation) dut sourire à ces distinctions subtiles ; car ce que, lui, dans sa lettre à Coupé, appelait loi agraire, c’est précisément le système de Dolivier : inaliénabilité du sol, usufruit de la terre assuré à tous, liberté de l’industrie. Dolivier s’efforce encore de dissiper les objections tirées de la suppression de l’héritage foncier.

« Mais la paternité ?… Eh bien ! la paternité, si c’est une douce jouissance pour celle qui est riche, de transmettre de grands héritages à ses en-