Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/821

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perposaient. Je veux dire que les gros porteurs d’assignats ne renonçaient pas soudain à acheter des marchandises pour n’acheter que de l’or, ni à acheter de l’or pour se procurer des lettres de change sur Londres et sur Hambourg. Il est vraisemblable qu’ils continuaient en partie leurs opérations antérieures, mais en les réduisant, et qu’ainsi réduites ils les cumulaient avec les combinaisons nouvelles. Mais dans l’ensemble, la marche qu’il indique est probablement la vraie. Il est naturel que l’agiotage se soit peu à peu dégagé des opérations visibles, un peu massives, qui avaient appelé l’attention et la colère des peuples, pour s’insinuer en des combinaisons plus subtiles. Les dénonciations mêmes contre les accapareurs avaient contribué à porter leurs opérations sur la Banque internationale, dont les subtils mécanismes échappaient au regard du peuple. Et il est tout naturel, dès lors, que Pitt ait songé à utiliser, pour déprécier l’assignat français, pour ruiner moralement et financièrement la Révolution, ces négociations de banque sur lesquelles, par la Banque de Londres, il pouvait avoir la haute main. Seulement, ici aussi, il est probable que Fabre d’Églantine exagère quand il attribue ou paraît attribuer au jeu direct de Pitt les plus sensibles effets de dépréciation subis par l’assignat.

Mais, dans tous les cas, il y avait urgence, il y avait nécessité vitale à trouver un remède ; lequel ? Le premier, évidemment, le plus décisif, c’était d’assurer, par un effort immense et par une concentration de toutes les énergies, la victoire de la Révolution. La victoire révolutionnaire, c’était le crédit de l’assignat en France et dans le monde. Le Conseil, le Comité de Salut public, Robespierre, le peuple entier, y travaillaient de toute leur âme. Puis, comme une des causes les plus immédiates du discrédit de l’assignat était sa surabondance, il fallait en restreindre le plus possible l’émission, et rappeler au trésor une partie du papier émis. Pour cela, Carabon imaginait et faisait adopter par la Convention trois combinaisons principales.

En premier lieu, il s’appliquait à hâter le paiement des sommes dues à l’État par les acquéreurs de biens nationaux, et à ramasser en un seul paiement immédiat les paiements échelonnés par annuités que la loi avait prévus. Il offrait, dans cette vue, une prime de 13 pour 100 à ceux qui se libéreraient pur anticipation ; et en outre il mettait en vente le droit qu’avait l’État à ces annuités. Comme les acquéreurs de biens nationaux, débiteurs de l’État, lui payaient un intérêt de 5 pour 100 sur ce qu’ils lui devaient, le citoyen qui se substituait à l’État plaçait ses fonds à un intérêt de 5 pour 100 : ce qui était fort avantageux, le placement étant absolument sûr. Ainsi se feraient, du moins Cambon l’espérait, d’abondantes rentrées d’assignats au Trésor.

En second lieu, les contre-révolutionnaires ayant affecté d’accorder une préférence aux assignats émis sous Louis XVI et qui portaient l’effigie royale, comme si la monarchie restaurée ne devait tenir compte que de ceux-là, la