Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/829

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l’émoi fut grand. Était-ce un coup de main des Enragés sur la Commune ? Était-ce une entreprise de la Commune sur la Convention ?

Robespierre, condamné dès lors à des prodiges d’équilibre, s’exalta en paroles terribles contre les accapareurs afin d’avoir le droit de dénoncer ce qu’il y avait de suspect selon lui dans la brusque invasion de l’Hôtel de Ville :

« Si les fermiers opulents ne veulent être que les sangsues du peuple, nous les livrerons au peuple lui-même. Si nous trouvions trop d’obstacles à faire justice des traîtres, des conspirateurs, des accapareurs, nous dirions au peuple de s’en faire justice lui-même.  »

Paroles terribles ; mais il ajoute :

« Réunissons donc ce faisceau redoutable contre lequel tous les efforts des ennemis du bien public se sont brisés jusqu’à ce jour. Ne perdons pas de vue qu’ils ne désirent autre chose que de nous rendre suspects les uns aux autres, et particulièrement de nous faire haïr et méconnaître toutes les autorités constituées. Des malveillants, des scélérats se joignent aux groupes qu’on voit à la porte des boulangers, et les irritent par des propos perfides. On alarme le peuple en lui persuadant que les subsistances vont lui manquer. On a voulu armer le peuple contre lui-même, le porter sur les prisons pour y égorger les prisonniers, bien sûr qu’on trouverait moyen de faire échapper les scélérats qui y sont détenus, et d’y faire périr l’innocent, le patriote que l’erreur a pu y conduire.

« Ces scélérats ont voulu égorger la Convention nationale, les Jacobins, les patriotes. Ils ont cherché à leur aliéner le peuple en leur attribuant tous les maux dont ils l’ont rendu victime. On assure que dans ce moment Pache est assiégé non par le peuple, mais par quelques intrigants qui l’injurient, l’insultent, le menacent. »

Ainsi la guerre était déclarée une fois de plus aux Enragés par Robespierre. Mais la force révolutionnaire gouvernementale ne peut maîtriser le mouvement. Elle-même, en protestant contre la Terreur, prononce des paroles de terreur ; et c’est demain Robespierre lui-même qui présidera, comme président de la Convention, à l’ouverture officielle de l’ère sanglante. Les Jacobins eux-mêmes, enfiévrés par des paroles terribles de Royer, décident de se mêler à la Commune et au peuple pour aller le lendemain à la Convention, pour la sommer d’agir.

Or, au moment où la crise des subsistances aboutissait à ce paroxysme et où le peuple, non pas affamé, mais exaspéré par les difficultés de vivre, allait sommer la Révolution de donner la sécurité et l’abondance, une nouvelle terrible se propageait : Toulon s’était livré aux Anglais.

Robespierre, dans cette même séance du 4, aux Jacobins, avait commencé à préparer les esprits au choc redoutable :