Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/836

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combat. C’est le Comité de Salut public qui devient de plus en plus la force d’impulsion et de régulation. Depuis le 10 juillet il est renouvelé. Danton en est sorti. Il avait déclaré d’avance qu’il ne voulait pas être réélu, et la Convention ne le nomma pas.

Le 5 septembre, après le discours révolutionnaire et avisé que j’ai commenté tout à l’heure, un des Conventionnels s’écria : « Danton a une tête révolutionnaire ; il faut qu’il entre au Comité de Salut public ».

D’acclamation et à l’unanimité, la Convention le désigna. Mais il s’obstina dans son refus. Y avait-il chez lui un commencement de lassitude ? Cédait-il à cette sorte de paresse qui souvent l’alanguissait et qui ne lui permettait guère que des accès d’énergie et de brusques réveils ? Trouvait-il au Comité la besogne trop continue, trop absorbante et minutieuse ? Remarié depuis peu, voulait-il se ménager des loisirs pour ce nouvel amour où s’acharnait la fougue de son tempérament ? Sans doute aussi sa résolution était l’indice d’une secrète meurtrissure et d’un calcul politique. Il avait pris, dans des temps difficiles, des responsabilités sans nombre, et il en sentait le poids. Souvent il devait se défendre aux Jacobins : son orgueil, moins tenace et profond que celui de Robespierre, mais violent et tumultueux, en souffrait. Il savait, par la cruelle expérience de ses relations avec Dumouriez, comme il est aisé à l’homme public, dès qu’il agit, dès qu’il a une fonction précise et une partie du pouvoir, de se compromettre. Il lui en coûtait sans doute d’être si souvent défendu et comme protégé par Robespierre qui, lui, s’était ménagé, qui avait surveillé les événements plus qu’il ne les avait dirigés, et qui maintenant pouvait appliquer son autorité intacte à la conduite de la Révolution libérée de la paralysante agitation girondine comme de la tutelle monarchique. Et Danton avait conclu que l’heure était venue pour lui de se réserver, de se tenir un peu en marge, de laisser ainsi sa popularité révolutionnaire se refaire, tandis que d’autres, au contact du pouvoir, deviendraient nécessairement plus mesurés. Lui, du dehors, les soutiendrait, les encouragerait : il ne leur tendrait pas de piège, il ne les affaiblirait pas par une opposition systématique ou un dénigrement sournois. Mais il ne s’engagerait pas à fond, et ils seraient obligés de paraître au premier plan des responsabilités. Ils sortiraient enfin du sanctuaire. Alors, quand l’heure serait venue, quand tous auraient compris que la Révolution a besoin de se régler elle-même, de se contenir, il interviendrait de nouveau, il reprendrait les négociations diplomatiques qu’il avait amorcées au premier Comité de Salut public et qui étaient peut-être prématurées. Il donnerait la paix à la France de la Révolution, et avec la paix un régime plus stable, plus libéral et plus humain. Ce plan, assez sage en apparence et avisé, avait deux défauts. D’abord, Danton oubliait qu’une force comme la sienne ne peut pas être hors du pouvoir et de la responsabilité. Hors du Comité de Salut public comme dans le Comité il restait une partie du pouvoir, une partie de la Révolution, et il allait être respon-