Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/842

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en substituant l’ère révolutionnaire à l’ère chrétienne, témoignent que dans leur pensée la Révolution est un fait historique au moins aussi grand que le fut le christianisme, et d’une signification universelle.

Ils espèrent bien, en effet, que tous les hommes et tous les peuples de ce qui fut l’humanité chrétienne dateront maintenant de la grande, date révolutionnaire leur vie renouvelée. Précisément, et comme si la faveur des événements voulait rattacher le nouvel ordre humain à l’ordre de la nature, c’est le 22 septembre, le jour même où la République fut proclamée, que le soleil entre dans l’équinoxe d’automne, c’est-à-dire au point d’où il éclaire également les deux pôles de la terre. C’est Romme, le rapporteur, qui note cette concordance symbolique : le droit nouveau aussi va éclairer les deux pôles, envelopper de sa lumière toutes les nations et toutes les races. Mais ce n’est pas seulement à son point de départ que l’ordre de la Révolution coïncide avec l’ordre de la nature. Il faut que cette concordance se marque dans l’évolution de chaque année et dans la marche des jours. C’est pourquoi, dans le calendrier révolutionnaire, les noms des mois vont refléter la couleur changeante des saisons, et par la vertu des mots et des images, mettre l’homme des cités modernes en contact familier avec les forces mouvantes du monde.

Fabre d’Églantine a caractérisé ce haut symbolisme en un rapport merveilleux de coloris et de charme (sauf peut-être quelques traits de polémique un peu gros). Il veut qu’on transpose dans l’ordre de la vérité les procédés par lesquels l’Église captivait l’imagination humaine :

« Les prêtres dont le but universel et définitif est et sera toujours de subjuguer l’espèce humaine et de l’enchaîner sous leur empire, les prêtres instituaient-ils la commémoration des morts, c’était pour nous inspirer du dégoût pour les richesses terrestres et mondaines, afin d’en jouir plus abondamment eux-mêmes ; c’était pour nous mettre sous leur dépendance par la fable et les images du purgatoire. Mais voyez leur adresse à se saisir de l’imagination des hommes et à la gouverner à leur gré ! Ce n’est point sur un théâtre riant de fraîcheur et de gaîté qui nous eût fait chérir la vie et ses délices, qu’ils jouaient cette farce ; c’est le second jour de novembre qu’ils nous ramenaient sur le berceau de nos pires ; c’est lorsque le départ des beaux jours, un ciel triste et grisâtre, la décoloration de la terre et la chute des feuilles remplissaient noire âme de mélancolie et de tristesse ; c’est à cette époque que, profitant des adieux de la nature, ils s’emparaient de nous, pour nous promener à travers l’Avent et leurs prétendues fêtes multipliées, etc…

« …De même, c’est pour des raisons ingénieuses et profondes que l’Église avait placé des cérémonies triomphales et publiques comme la Fête-Dieu dans les jours les plus beaux, les plus longs et les plus effervescents de l’année.

« Les prêtres enfin, toujours pour le bénéfice de leur domination, voulaient-ils subjuguer complètement la masse des cultivateurs, c’est-à-dire