Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/863

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Jean Bon Saint-André, lorsqu’en mars 1794 il presse à Brest, à Lorient, les constructions navales et l’armement des navires, constate avec colère qu’aux mines de Carhaix la compagnie, qui exploitait un reste d’une concession d’ancien régime, était dure aux ouvriers. « Elle cherche, dit-il, à plumer la poule aux dépens des ouvriers. » Ceux-ci, « maltraités et malheureux, meurent de faim. » et il n’y a pas la moindre retraite ou le moindre secours pour les vieux. Ils sont « inhumainement abandonnés à la misère aussitôt qu’épuisées par le travail leurs forces ne leur permettent plus d’alimenter l’avarice et la cupidité. »

« Je ferai en sorte, écrit-il au Comité de Salut public, qu’ils aient au moins du pain. »

Provisoirement, il met la mine en régie, mais il suggère l’idée qu’elle devrait devenir propriété nationale et être exploitée par la nation. La fermentation socialiste qui se manifeste en ces jours ardents n’est donc pas l’effet particulier de la pensée hébertiste, mais de tout le mouvement révolutionnaire.

Parmi ceux d’ailleurs qui participaient à des degrés ou sous des formes diverses au mouvement hébertiste, il y avait des tendances sociales très différentes. Cloots, leur allié dans la lutte antichrétienne, était opposé, dans l’ordre économique, à toute intervention de l’État, à toute réglementation. Il voulait la libre expansion infinie de toutes les forces individuelles dans l’humanité unifiée, et se comparant au prédicateur catholique qui, consulté sur un article du carême, répondait : « Mangez un bœuf, mais soyez chrétiens », il disait : « Ayez des millions, mais soyez citoyens ». Ce n’est donc pas au nom d’une doctrine sociale que l’hébertisme pouvait combattre le Comité de Salut public.

Dans la question religieuse, l’hébertisme n’a été que violence superficielle et vaine, incohérence et contradiction. D’août à novembre un mouvement très vif de déchristianisation s’est dessiné. Ce n’est plus seulement contre les prêtres insermentés, ce n’est même plus contre l’Église, c’est contre le christianisme même qu’une partie du peuple révolutionnaire est soulevé. Et il essaie d’en arracher jusqu’à, l’idée de l’esprit des hommes en détruisant les symboles et les emblèmes qui, par les yeux, le faisaient entrer dans la pensée. C’est la guerre au culte comme moyen de guerre à la croyance. Ce sont les prêtres qui ont fanatisé la Vendée ; ce sont les prêtres qui, à Lyon, ont été les complices des riches égoïstes. La Révolution ne sera assurée, la liberté humaine ne sera définitive que lorsque la puissance qui s’est emparée des âmes et qui les soumet à toutes les tyrannies de la terre et du ciel aura disparu. Et qu’on ne distingue pas entre les prêtres assermentés et les prêtres insermentés, entre les prêtres constitutionnels et les prêtres réfractaires. Qu’ont fait les prêtres constitutionnels ? Quelle a été leur action en Vendée, à Lyon, à Toulon, à Marseille, en Lozère ? Ou ils ont été secrètement complices de