Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/869

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Et à qui fera-t-on croire que les prêtres avec leurs dévotes sont maintenant le plus redoutable ennemi ? On égare la Révolution.

Mais Robespierre ne se borne point à une déclaration politique. Il fait une profession de foi déiste. Il formule une philosophie qui est selon lui la règle nécessaire de la vie sociale.

« Il est des hommes qui veulent aller plus loin ; qui, sous le prétexte de détruire la superstition, veulent faire une sorte de religion de l’athéisme lui-même. Tout philosophe, tout individu peut adopter là-dessus l’opinion qu’il lui plaira. Quiconque voudrait lui en faire un crime serait un insensé ; mais l’homme public, mais le législateur serait cent fois plus insensé qui adopterait un pareil système. La Convention nationale l’abhorre. La Convention n’est point un faiseur de livres, un auteur de systèmes métaphysiques ; c’est un corps politique et populaire, chargé de faire respecter non seulement les droits, mais le caractère du peuple français. Ce n’est point en vain qu’elle a proclamé la Déclaration des Droits de l’Homme en présence de l’Être suprême. On dira peut-être que je suis un esprit étroit, un homme à préjugés ; que sais-je ? un fanatique. J’ai déjà dit que je ne parlais ni comme un individu, ni comme un philosophe systématique, mais comme un représentant du peuple. L’athéisme est aristocratique. L’idée d’un grand Être qui veille sur l’innocence opprimée et qui punit le crime triomphant, est toute populaire. » (Vifs applaudissements.)

Dangereuse théorie qui opposait l’intolérance du déisme officiel à l’intolérance de l’athéisme obligatoire. Robespierre a beau distinguer l’individu du citoyen : quelle sera la liberté de l’individu devant le problème du monde, si le citoyen devient suspect pour avoir professé des opinions qui avilissent « le caractère français » ? Si l’athéisme est aristocratique, l’athée est bien près d’être aristocrate ; or, on sait ce qui attend l’homme convaincu d’aristocratie. Et à tout cela, Hébert ne répond rien, rien. S’il avait eu quelques idées dans le cerveau, s’il avait eu vraiment le sens du mouvement antichrétien violent qu’il avait ou déchaîné, ou encouragé, il aurait répondu à Robespierre en commentant le mot de Chalier :

« Nous avons abattu le tyran des corps, il faut abattre le tyran des âmes. »

Et de même que nous faisons disparaître tous les emblèmes de la tyrannie féodale et monarchique, nous devons faire disparaître tous les emblèmes de la tyrannie religieuse.

« Les prêtres ne sont dangereux que parce qu’ils parlent au nom de Dieu. Leur laisser Dieu, c’est leur laisser l’instrument suprême de domination. Et le dieu de Robespierre n’est qu’une pâle copie du dieu de l’Évangile. L’appétit fanatique du peuple excité par le déisme ne trouvera satisfaction entière que dans le christianisme. La preuve que le déisme n’est qu’un christianisme atténué, c’est qu’il conduit à peu près à la même intolérance. Robespierre propose et impose une philosophie d’État comme on imposait sous l’ancien régime une