Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/874

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ennes, les atrocités des réacteurs toulonnais pendant au croc des boucheries les patriotes égorgés.

Mais enfin ce lendemain d’assaut ne peut pas devenir pour la Révolution une politique normale. De Paris qui n’est pas au foyer même de la guerre civile, devraient venir des conseils de mesure, de sagesse et d’humanité. Or l’hébertisme s’acharne à souffler sur le feu. Collot d’Herbois, à Lyon, aurait eu singulièrement besoin d’être averti : car, par une sorte de malentendu sinistre, peut-être à demi volontaire, il outre et il fausse le sens du vote si terrible de la Convention.

Le décret avait dit :

« La ville de Lyon sera détruite ; tout ce qui fut habité par les riches sera démoli, il ne restera que la maison du pauvre, les habitations des patriotes égorgés ou proscrits, les édifices spécialement employés à l’industrie, et les monuments consacrés à l’instruction publique. »

Le décret est formidable ; mais au fond il laisse subsister Lyon, car pourquoi conserver les édifices spécialement employés à l’industrie si l’industrie ne doit pas renaître, si les ouvriers ne doivent pas rester groupés dans la cité, si bientôt les métiers ne doivent pas battre de nouveau ? Tous les termes étaient calculés pour concilier l’effet de terreur que la Convention voulait produire sur les imaginations avec la nécessité de conserver à la France une magnifique force de travail et de richesse. C’est sans doute ainsi que Couthon eût interprété la pensée de la Convention. Mais il fut suspect de faiblesse, et, pour des raisons ou sous des prétextes de santé, il demanda à être déchargé de ce fardeau.

C’est Collot d’Herbois, qui représentait, au Comité de salut public, l’élément le plus voisin de l’hébertisme, qui reçut mission d’appliquer le décret. Et tout de suite, il ne voit que l’enseigne théâtrale : Lyon sera détruit. Et c’est à la lettre qu’il veut détruire Lyon : il n’y restera, si on le laisse faire, ni une pierre, ni un homme. Son plan est de déporter, de disperser sur toute l’étendue de la France, toute la population ouvrière lyonnaise, cent mille prolétaires. Il ne sait rien de Lyon, de son passé glorieux et triste, de ses révoltes sociales ; il ne sait rien des grandes grèves répétées par où, depuis trois siècles, la classe ouvrière lyonnaise préludait aux grandes luttes prolétariennes des temps futurs. Il ne soupçonne pas la force de révolution latente cachée sous la résignation triste de ces hommes.

« Il faut, écrit-il à Robespierre le 3 frimaire an II, licencier, faire évacuer cent mille individus travaillant, depuis qu’ils existent, à la fabrique, sans être laborieux, et bien éloignés de la dignité et de l’énergie qu’ils doivent avoir ; intéressants à l’humanité, parce qu’ils ont toujours été opprimés ou pauvres, ce qui prouve qu’ils n’ont pas senti la Révolution. En les disséminant parmi les hommes libres, ils en prendront les sentiments, ils ne les auront jamais s’ils restent réunis… »