Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/876

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C’est le militarisme sauvage de la guerre de Trente ans transporté dans la Révolution. À Nantes, Carrier pousse si loin la répression, qu’il ameute contre lui les patriotes eux-mêmes. Mais ils ne peuvent plus l’aborder. Il ne vit qu’avec des officiers ; là, il ne rencontre ni contradiction, ni blâme, et les plus farouches consignes s’exécutent avec entrain comme à un lendemain d’escalade. Or, Carrier adopte l’hébertisme et est adopté par lui.

L’hébertisme enfin est militariste par son goût pour la guerre illimitée. Elle est devenue pour lui une carrière : c’est là que tous les tape-durs, sans emploi maintenant dans les sections, pourront déployer leur vigueur et monter en grade. C’est là que ce besoin de commander, de despotiser, qui se développe dans les révolutions prolongées chez les petits groupes d’hommes ardents qui mènent la bataille, trouvera une satisfaction durable et permanente.

« Ne discutez pas, disait Boissel aux révolutionnaires des sections, jouez du bâton. » Mais jouer du bâton prépare à jouer du sabre ; les armées révolutionnaires qui font des battues dans les fermes pourraient être licenciées ; si la guerre avec le monde continue, les galons seront solidement cousus aux manches, et le panache sera fortement attaché au chapeau. Par la prolongation de la guerre la Révolution va à la ruine ou à la servitude. Elle dépense trois cents millions par mois : la France dévore sa substance. Elle peut bien, par un effort héroïque de bravoure, d’abnégation, relever l’assignat malgré ce fardeau écrasant. Elle peut, d’un mouvement presque surhumain, marcher, respirer, combattre ; mais combien de temps ? Bientôt ou elle tombera épuisée, ou elle sera obligée, pour se refaire, de demander à la guerre le moyen de nourrir la guerre, de faire de la guerre l’industrie nationale de la Révolution, d’organiser, par des rançons formidables, le pillage en grand et d’étendre sur les peuples le système tributaire de l’ancienne Rome conquérante. Dans tous les cas, c’est la défaite de la Révolution, soit qu’elle succombe au déficit de ses finances et de ses forces, soit qu’elle se renie elle-même en suivant un Imperator. C’est là ce qu’avait pensé Robespierre quand il s’était opposé en 1792 à la déclaration de guerre si imprudemment déchaînée par Brissot. Et c’est ce qui lui faisait dire maintenant : « La guerre étrangère est le péril mortel pour la liberté ».

Brissot menait à Hébert, qui mènera à Bonaparte. Girondisme, hébertisme, bonapartisme sont trois termes liés. Ce que l’hébertisme pardonnait le moins à Danton, c’est d’avoir cherché, quand il était au Comité de Salut public, à négocier la paix ; il fermait le débouché immense que ces armées de douze cent mille hommes avec leur énorme appareil d’administration et de commandement offraient aux ambitions et aux convoitises qui, par le monopole des certificats de civisme, se seraient réservé le monopole des grades, des fournitures et des emplois. Et Robespierre aussi était suspect parce qu’on le soupçonnait de désirer la fin de la guerre. À la seule idée que l’on traiterait