Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/891

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est certainement fausse. Mais le malheur immense et la faute de Danton, à ce moment, c’est que nul ne sait quelle est sa politique, quel est le but où il tend. La marche de Robespierre, à cette date, est décidée et claire. Il aurait voulu, sans violence, refouler peu à peu et éliminer l’hébertisme, former avec les dantonistes réconciliés un grand parti de la Révolution à la fois vigoureux et légal qui aurait découragé les forces ennemies et rendu possible, sans péril pour les patriotes les plus fervents, l’avènement de la Constitution et des négociations de paix. Au contraire, à voir l’étourderie avec laquelle, en décembre, les dantonistes déclarent la guerre à Hébert par des procédés qui aliénaient d’eux nécessairement Robespierre, on se dit : mais sur qui donc peuvent ils compter ? sur quelle force sociale ? Pour modérer et organiser la Révolution contre Hébert et sans Robespierre, ils n’auraient pu, en effet, faire fonds que sur les royalistes assagis, sur ceux qui auraient accepté le retour à la Constitution de 1791.

De là à supposer que Danton ne répugnait pas à une restauration monarchique, qui aurait mis sur le trône ou le duc d’Orléans, ou le jeune Louis XVII élevé loin des siens, et entouré d’un Conseil de régence donnant des garanties à la nation révolutionnaire, il n’y avait pas loin. Les dantonistes, par les intrigues de Fabre d’Églantine, par les pamphlets de Desmoulins, par la dénonciation retentissante de Philippeaux, reprenaient exactement le jeu de la Gironde. C’était le système des papiers rolandistes qui recommençait, et de même que les Girondins s’acculèrent eux-mêmes à n’avoir plus d’autre alliance possible que celle des royalistes, de même que ceux d’entre eux qui étaient républicains frémirent d’épouvante au bord de l’abîme de contre-révolution monarchique qui s’ouvrait à leur approche, de même Danton se serait sans doute foudroyé de son propre anathème le jour où il aurait constaté qu’en s’éloignant de Robespierre il s’était mis dans l’ombre du Temple.

Il n’est pas indifférent que deux observateurs aussi remarquables, aussi avisés que Mallet du Pan et Gouverneur Morris aient cru que la politique de Danton avait un arrière-fond royaliste. Ils se trompaient, mais leur erreur même est grave.

Mallet du Pan dit (et on va voir comme les traits sont forcés et souvent inexacts) :

« Dès la fin de novembre, et pour tenir tête aux hébertistes (le parti de la Commune), Robespierre s’unit avec Danton, son ennemi mortel, mais menacé comme lui, ayant à se reprocher sa vénalité, les sommes qu’il reçut de la liste civile, une fortune scandaleuse, des connivences avec le Temple et son opposition au procès de la Reine. »

La fortune de Danton n’était pas scandaleuse ; il n’avait reçu du Trésor royal, en 1790, que le remboursement de sa charge (peut-être un peu complaisamment établi par les ministres du roi qui cherchaient, en effet, à amadouer « le démagogue »). Mais ce que je retiens, c’est l’impression qu’a eue Mallet