Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/916

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terait à la Montagne groupant autour d’elle toute la Convention, à Danton, au Comité de Salut public, à la politique et à la vigueur de Robespierre. Henriot, calculateur épais, se réservait. Pache avait, sans doute, quelque sympathie secrète pour cette vivante et piailleuse nichée révolutionnaire qu’il avait couvée le premier au ministère de la guerre. Mais il avait l’esprit expectant et silencieux.

Les hébertistes ne pouvaient non plus faire fond sur Collot d’Herbois. En ces jours difficiles, il jouait la conciliation. Il allait des Jacobins aux Cordeliers, des Cordeliers aux Jacobins. Il morigénait les Cordeliers pour avoir voilé la Déclaration des Droits de l’Homme : « Est-ce qu’on peut voiler la nature ? » Et il noyait leur faute sous des effusions fraternelles. Mais ni il ne désarmait les plus entreprenants des Cordeliers de leurs pensées insurrectionnelles, ni il n’endormait le regard aigu du Comité de Salut public.

C’est Ronsin, semble-t-il, et Vincent qui avaient seuls une idée nette et une tactique. Ronsin surtout ; c’est par lui que le mouvement cordelier et hébertiste a un sens.

L’idée mère, c’était de reprendre ou de paraître reprendre la politique de Marat. C’est pourquoi le cœur de Marat était exposé aux Cordeliers comme une relique. C’est pourquoi les Cordeliers fondaient un journal impersonnel et collectif destiné à continuer officiellement la pensée de Marat. Et eux-mêmes disaient que les vrais révolutionnaires devaient renoncer à toute autre appellation et se déclarer simplement « maratistes ». Or, être maratiste en mars 1794, cela, pour les Cordeliers, signifiait deux choses. D’abord il fallait se débarrasser, d’un coup et par la violence, des ennemis de la Révolution, il fallait purger les prisons des aristocrates, des modérés, des Girondins, des suspects de tout ordre qui les encombraient, septembriser les contre-révolutionnaires.

Et (c’était là encore la pensée de Marat) pour que cette opération ne se fasse point à l’aveugle, pour que l’ignorante fureur du peuple ne laisse pas échapper les contre-révolutionnaires, et ne s’égare pas sur des patriotes, il faut que l’opération soit dirigée de haut, avec des pouvoirs très courts mais dictatoriaux, par un délégué révolutionnaire.

C’est ce que Marat appelait un prévôt révolutionnaire ; c’est ce que les nouveaux maratistes appelaient « un grand juge ».

Ainsi le chef du pouvoir révolutionnaire serait avant tout un justicier. Mais sur quelle force active et organisée pouvait compter la Révolution ? Ronsin n’était pas sûr que la garde nationale marcherait. Mais lui-même Ronsin n’était-il pas le commandant en chef de l’armée révolutionnaire ?

C’est elle qui serait la grande force révolutionnaire. Divers témoins déclarent que Ronsin voulait la porter à cent mille hommes. Quel crédit accorder à ces témoignages ? On ne peut les accueillir qu’avec une extrême réserve. Quand on songe que Billaud-Varennes, commentant, le 14 mars, aux Jaco-