Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/919

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C’est le 23 ventôse (13 mars), que le Comité frappa. C’est Saint-Just, cette fois encore, qui fut chargé du rapport. Fidèle à sa tactique ou plutôt à son point de vue, il se garde de concentrer sur l’hébertisme toute l’attaque. Et quand on lit ce discours, on se demande s’il va être suivi par l’arrestation des dantonistes ou par celle des hébertistes, ou plutôt on est sûr qu’il sera suivi, peut-être le même soir, peut-être à quelques jours d’intervalle, de l’arrestation des uns et des autres ; et ce fut simplement l’impatience des hébertistes se préparant à un coup de main qui leur assura un tour de priorité. On dit parfois que Robespierre et le Comité de Salut public se sont servis des dantonistes pour frapper l’hébertisme et qu’ensuite, par un coup de barscule violent, ils ont eu raison du dantonisme. Non, la marche du Comité de Salut public ne fut pas sournoise. Le discours de Saint-Just était une sorte d’acte d’accusation collectif où Danton était enveloppé comme Hébert. La foudre grondait sur tout l’horizon à la fois : Saint-Just avait trouvé, dans les soupçons du peuple, qui s’exagérait volontiers l’intervention de l’étranger dans les affaires intérieures de la Révolution, le moyen commode de grouper les griefs les plus divers. C’est de ce centre de perspective qu’il développa tous les complots. Ou plutôt, il n’y avait, sous l’apparence de complots multiples, qu’un seul complot, le complot de l’étranger cherchant à perdre la Révolution, tantôt en corrompant quelques-uns des révolutionnaires pour déshonorer toute la Convention, tantôt en excitant à « commettre des atrocités pour en accuser la Révolution et le peuple », tantôt en conseillant une « parricide indulgence » qui livrait la liberté : Chabot, Hébert, Danton.

Saint-Just qui avait le sens de la nature, de ses phénomènes larges et un peu confus, confondait dans un symbolisme vaste les conjurations en apparence les plus distinctes :

« Tous les complots sont unis ; ce sont les vagues qui semblent se fuir et qui se mêlent cependant. La faction des indulgents qui veulent sauver les criminels, et la faction de l’étranger, qui se montre hurlante, parce qu’elle ne peut faire autrement sans se démasquer, mais qui tourne la sévérité contre les défenseurs du peuple ; toutes ces factions se retrouvent la nuit pour concerter leurs attentats du jour ; elles paraissent se combattre pour que l’opinion se combatte entre elles ; elles se rapprochent ensuite pour étouffer la liberté entre deux crimes…

« C’est l’étranger qui attise ces factions, qui les fait se déchirer par un jeu de sa politique, et pour tromper l’œil observateur de la justice populaire… Ces partis divers ressemblent à plusieurs orages dans le même horizon, qui se heurtent et qui mêlent leur éclairs et leurs coups pour frapper le peuple. »

Le soir même, Momoro, Vincent, Hébert, Ronsin étaient arrêtés. Et Robespierre, reparaissant pour la première fois depuis un mois aux Jacobins, venait prendre la responsabilité de la décision terrible, et surveiller l’effet pro-