Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/923

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dans les derniers jours de sa vie ? Au ministère de la guerre, c’est Vincent qui le tenait au courant des intrigues des généraux, qui lui dénonçait Custine. Est-ce que Marat, lui aussi, aurait été de la conjuration ? Est-ce que lui aussi avait songé à faire violence encore à la Convention, à recommencer contre la Montagne le 31 mai, à instituer une dictature, à partager le pouvoir avec Hébert et Ronsin ?

Les muscadins répandaient ces bruits pour affoler, en quelque sorte, la piété révolutionnaire du peuple et glacer en lui, par un doute universel, le feu de la révolution.

Les amis d’Hébert chuchotaient aussi ces choses, pour mêler dans l’imagination du peuple hébertisme et maratisme, pour glisser un remords et une épouvante dans la joie tour à tour cynique et inquiète de la foule qui avait moqué Hébert jusque sur l’échafaud. Quoi ! Si Marat avait vécu, est-ce que lui aussi aurait été de la charrette ? Question terrible, que nul n’osait formuler, et qui restait au fond des cœurs comme un poids qu’aucune respiration ne soulevait.

Mais voici une nouvelle angoisse et une nouvelle meurtrissure. C’est le tour de Danton maintenant et de ses amis. Qui donc pouvait se flatter qu’il échappât ? On a raconté que dans les quinze jours qui séparent l’arrestation d’Hébert de celle de Danton, Robespierre disputa Danton et Camille Desmoulins au Comité de Salut public et au Comité de Sûreté générale. Quelle que fût la sincérité de ces résistances, quelle que fût la souffrance de Robespierre à livrer son ami Camille et de quelque trouble qu’il fût saisi en voyant le couteau s’abaisser sur Danton, ce n’était ou ne pouvait être qu’un jeu de surface.

Au fond, le jour où Robespierre avait décidé de frapper Hébert, il avait livré Danton. Il n’avait obtenu l’assentiment révolutionnaire contre l’hébertisme qu’en rassurant les révolutionnaires ardents contre toute tentative de modérantisme. Il n’avait entraîné le Comité de Salut public, le Comité de Sûreté générale qu’en promettant tout haut, dans son discours du 5 février, par le discours de Saint-Just du 8 ventôse, de frapper la faction dantoniste. C’est le gage que demandaient les terroristes des comités. C’est le gage qu’exigeaient Billaud-Varennes, Collot d’Herbois, Amar.

« Nous nous sommes compromis en frappant une avant-garde téméraire et sans doute factieuse. Les indulgents aussi ne sont-ils pas des factieux ? À ton tour maintenant, Robespierre, de te meurtrir toi-même jusque dans tes amitiés. »

Et Saint-Just était là, pour imposer l’inflexibilité romaine aux révoltes coupables de l’amitié et aux vaines exigences du cœur. Donc, ils furent arrêtés et jugés. Et ce qu’il y eut d’atroce, c’est que, comme on n’avait pas contre Danton et ses amis les éléments matériels de culpabilité immédiate et fla-