Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/941

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« Considérant que tandis que nos frères d’armes se portent sur le territoire ennemi et bravent tous les dangers pour affermir notre liberté, ceux qui, attachés aux ateliers destinés à préparer les draps propres à les défendre des injures du temps, les abandonnent pour un vil intérêt, ne peuvent être regardés que comme des citoyens qui ne veulent être en rien dans la lutte formidable de la liberté contre la tyrannie et qui conséquemment doivent être regardés comme suspects et traités comme tels ;

« Arrête : Tous les ouvriers qui étaient habituellement occupés aux travaux principaux des fabriques de draps, dans l’étendue de la division de l’année des Pyrénées-Orientales, sont mis en réquisition ; ils ne pourront sous aucun prétexte abandonner leurs ateliers sous peine d’être regardés comme suspects et traités comme tels. »

Ces mesures eussent-elles été nécessaires s’il y avait eu langueur économique et chômage ? Ce fut un temps de production intense, et en un sens on peut dire que la Révolution suscita, comme par un coup de fouet violent, l’industrialisme moderne. Elle utilisa au plus haut degré les choses et les hommes. Elle tira de toute force minérale, animale, humaine, tout ce que cette force pouvait donner.

Pour fournir du salpêtre à ses fabriques de poudre, elle racle les caves et les murailles. Elle utilise pour ses fonderies les cloches vaines des clochers. Elle ramasse, comme un chiffonnier géant, tous les chiffons pour donner du papier aux administrations révolutionnaires devenues, en effet, selon le mot de Saint-Just, « un monde de papier ». Elle réquisitionne pour ses fabriques de draps toutes les laines. Et comme beaucoup d’hommes sont aux armées, comme d’ailleurs les besoins de la production dépassent infiniment les besoins de la production normale, elle fait appel aux enfants et aux femmes. Elle ne leur distribue pas seulement du travail à domicile comme celui auquel ils étaient accoutumés sous l’ancien régime. Elle les groupe dans de vastes manufactures improvisées.

Les fabricants de draps d’Albi écrivent à la Commission des subsistances qu’il conviendrait de faire l’éducation industrielle des enfants. Boyer-Fonfrède installe à Toulouse de vastes tissages où il concentre des enfants et des femmes. Jean Bon Saint-André appelle dans ses vastes ateliers de voileries de Brest les femmes bretonnes habituées à faire aller le rouet et le fuseau à domicile. Sur la place des bourgs, à portée des minerais arrachés à la montagne, s’allument des forges où les artisans de village, accoutumés jusque-là aux travaux parcellaires, apprennent la discipline et l’élan du travail collectif. La fièvre du patriotisme et du péril hâte le rythme du travail jusque-là un peu traînant ; et la grande industrie ardente et pressée de la guerre révolutionnaire entraîne les bras pour les fébriles besognes du capitalisme moderne. La décade, substituée au dimanche, espace