Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/101

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permette de voir les leurs avant leur départ. Quant aux familles (qui resteront, tant pis si elles meurtent ! On rejette un amendement qui veut qu’on subvienne à leur existence. Les catholiques Laboulie, de Montreuil, se distinguent parmi les plus durs. Falloux offre aux condamnés des missionnaires qui les évangéliseront pendant la route.

Et les tristes convois de transportés partent pour Le Havre, pour Cherbourg, Brest, Lorient, Belle-Ile, où ils végéteront sur des pontons ou dans l’enceinte d’une forteresse, pendant que les femmes arrêtées en même temps s’en iront à la prison centrale de Clairvaux. Et les huit Commissions militaires, qui sont presque des Commissions mixtes — car les dossiers sont soumis à des magistrats — fonctionnent avec énergie. Le procureur général de Paris, en réclamant la mise en liberté des détenus contre lesquels il n’existe aucune charge, fait preuve d’indépendance et de hardiesse. Mais on lui répond : Non. Le 5 octobre, le Comité de législation refuse encore à ces détenus un jugement public et contradictoire et, si l’Assemblée autorise la transportation en Algérie, c’est parce que le transport dans les autres colonies coûterait trop cher et à condition d’excepter « ces hommes pervers chez lesquels l’hostilité à toute organisation sociale est érigée en système. »

A chaque demande d’amnistie émanant de la gauche, il sera répliqué par une fin de non-recevoir dédaigneuse[1]. Comme dit un rapport : « Les doctrines subversives qui ont égaré ces malheureux et les ont poussés au crime ont-elles cessé de se faire entendre ? » Non, évidemment. Donc, il est dangereux et inopportun de leur pardonner. La discussion des propositions d’amnistie est ajournée quatre fois au scrutin secret qui permet la lâcheté des représailles anonymes. L’Assemblée, jusqu’à son dernier jour, estimera, suivant l’expression de Léon Faucher, que l’expiation n’est pas encore suffisante pour une insurrection comme l’histoire n’en a jamais vu ; et elle méritera le nom que lui inflige le représentant Laussedat d’Assemblée implacable.

Cependant, qu’advient-il des Ateliers nationaux ? Leur dissolution demandée, non votée le 23 juin, avait été réclamée de nouveau le 28 par un membre de l’Assemblée. Cavaignac, le 3 juillet, déclare qu’il a fait continuer les paiements durant l’insurrection, afin d’en détourner le plus grand nombre d’hommes possible, et qu’il a réussi à écarter ainsi du combat la majorité de ceux qui s’y trouvaient inscrits. Il annonce qu’ils sont désormais dissous et qu’on devra seulement, quelques jours encore, accorder des secours à des hommes qui, « pour la plupart, ne demandent qu’à travailler ». Deux jours plus tard, Falloux regrette publiquement qu’on ait trop effacé, dans cette solution, la part de l’Assemblée et de la Commission parlementaire dont il a été rapporteur. Il semble fier du rôle qu’il a joué avec elles. Il revendique

  1. D’après les chiffre officiels, les arrestations ont dépassé 15.000. Elles ont continue après l’apaisement. 1607 ont eu lieu postérieurement au 27 Juin. — 10.057 détenus ont fait l’objet d’une instruction sommaire. 6374 ont été libérés. 4348 sont condamnés à la transportation et, parmi eux, — tant la précipitation a été grande, des officiers de la garde nationale ayant combattu les insurgés. 951 de ces malheureux ont été recommandés à l’indulgence par diverses commissions de clémence.