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leurs adversaires, ils se sont mutuellement accusés, démentis, insultés, et, devant l’opinion publique, l’enquête parlementaire, tissu de dépositions tronquées, de commérages perfides, d’allégations anonymes et d’insinuations savantes, rendues plus meurtrières par de doucereux appels à la concorde, demeure comme un arsenal où iront puiser des armes tous les ennemis du nouveau régime et comme un témoignage irrécusable de l’état de faiblesse où il est dès lors tombé.

Les modérés, qui avaient permis et encouragé cette œuvre de haine et de division, s’aperçurent un peu tard qu’ils étaient dupes de leurs alliés de droite. Cavaignac avait lui-même vu se dresser contre lui le reproche d’avoir laissé grandir l’insurrection pour avoir plus de mérite à l’écraser et plus de titres au pouvoir suprême. Il fut question d’une contre-enquête. Mais la proposition fut enterrée. Les vieux routiers du Parlement, qui étaient en nombre parmi les conservateurs, se gardèrent bien de mettre au poing de leurs adversaires ce stylet empoisonné.

La situation politique pouvait se résumer dans cet aveu de Cavaignac ; « La majorité de l’Assemblée conduit tout. Je ne suis qu’un instrument entre ses mains ». Un roman-pamphlet du temps la décrit en ces termes : « On vivait dans une atmosphère plus sereine ; les clubs se taisaient ; la presse ne parlait qu’à travers un bâillon : il n’y avait plus ni groupes, ni chants dans les carrefours. Le régime militaire avait porté ses fruits ». C’est à ce moment et dans ces conditions qu’allait s’élaborer l’œuvre essentielle de la Constituante, la Constitution de la République française.


CHAPITRE X


LA CONSTITUTION DE 1848


La Constituante de 1848, comme toutes les Constituantes que la France a connues, a eu le grand tort de ne pas être exclusivement vouée à la besogne spéciale qui lui incombait. La tâche difficile de transformer dans le sens démocratique la société française eût amplement suffi à son activité. Mais, Assemblée à tout faire, troublée sans cesse par les convoitises et les passions de tout genre qui s’agitent autour du pouvoir, distraite par les questions irritantes ou mesquines du moment, obligée de consacrer ses matinées à l’expédition des affaires courantes et ses après-midi seulement aux travaux de constitution, elle ne pouvait avoir ni la sérénité ni le loisir nécessaires à l’élaboration de la grande œuvre législative dont elle était chargée.

On a reproché à cette Constitution d’avoir été bâclée. Le reproche est excessif ; mais il contient une grosse part de vérité. Ce qui lui manqua surtout, c’est la lente incubation d’où naissent les réformes viables, c’est la discussion préalable qui prépare dans les esprits des décrets qu’il n’y a