Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/130

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Mais on avait fait aussitôt un pas en arrière, en ramenant à huit, sous prétexte que c’était nécessaire à la protection de la société, la majorité des voix suffisante pour prononcer une condamnation, même capitale.

Crémieux avait de plus institué, sous la présidence du démocrate Martin (de Strasbourg), une Commission de réforme judiciaire. Elle avait abouti à un projet qui fut soumis au Comité de Constitution et qu’Odilon Barrot taxe lui-même de timidité. Il ne contenait guère en effet, qu’une simplification de la procédure civile, la suppression des tribunaux d’arrondissement considérés comme inutiles, la réduction du nombre des cours d’appel[1]. Sur les instances d’Odilon Barrot, le Comité avait résolu de proposer en outre l’extension du jury à des affaires correctionnelles et même civiles. Mais les bureaux de l’Assemblée avaient vivement balayé ces velléités réformatrices. Il n’en fut plus question dans le projet définitif qui fut discuté devant la Chambre. On laissa cependant au jury la connaissance des délits politiques et des délits de presse.

La vénalité des offices ministériels avait été légèrement menacée par des pétitions : elle fut sauvée d’un mot. Au moment où l’on discutait l’article 11 dont le premier paragraphe est ainsi conçu : — « Toutes les propriétés sont inviolables », — un représentant, Sautayra, demanda si celle des offices y était comprise ; et d’acclamation il lui fut répondu qu’elle bénéficiait de la même protection que les autres. Une autre inquiétude avait troublé le monde de la magistrature : l’inamovibilité serait-elle supprimée ou suspendue ? Il avait été vite convenu que non ; les juges continuaient d’être nommés à vie. on assurait ainsi leur indépendance à l’égard de la nation ; toutefois on ne se souciait pas au même degré d’assurer leur indépendance à l’égard du pouvoir exécutif : car non seulement le Président disposait de leur avancement, mais il les nommait ainsi que les procureurs généraux et les juges de paix : exception avait été faite d’abord pour les juges à la Cour de Cassation et pour les membres de la Cour des Comptes. L’exception disparut : ne fallait-il pas un gouvernement fort ? En somme point d’autres changements que la création de tribunaux administratifs, d’un tribunal des conflits jugeant les différends entre l’autorité administrative et l’autorité judiciaire, enfin et surtout d’une Haute-Cour jugeant sans appel, avec les accusations portées par l’Assemblée soit contre ses propres membres soit contre les ministres et le Président de la République, les complots et attentats contre la sûreté de l’État. Composée de cinq juges et de trente-six jurés, qui devaient être, les uns élus par la Cour de Cassation, les autres tirés au sort parmi les membres des Conseils généraux, dès qu’un décret de l’Assemblée en aurait ordonné la formation, elle était forcément lente à se constituer et l’expérience devait prouver qu’elle n’était pas pour la République, aux jours de péril urgent, une arme défensive très facile à manier.

  1. Le projet de Marie fut renvoyé aux bureaux.