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CHAPITRE XIII


L’ENSEIGNEMENT et l’ÉGLISE. — PROJETS RÉPUBLICAINS ET LOI FALLOUX


L’enseignement, quand survint la Révolution de 1848, était disputé en France entre deux puissances, également officielles, également reconnues, l’Église et l’Université.

Le mot d’Université avait en France un sens particulier, un sens exclusivement français. Il ne signifiait pas, comme au moyen-âge et comme à l’étranger, un établissement d’enseignement supérieur comprenant les quatre facultés traditionnelles : théologie, droit, médecine, philosophie sciences et lettres. Il désignait, depuis Napoléon Ier, l’ensemble du corps enseignant et des écoles de tout ordre où se donnait l’enseignement.

Une et indivisible, l’Université de France avait à sa tête un grand-maitre qui était le ministre de l’Instruction publique. Elle était divisée en un certain nombre de circonscriptions on Académies qui étaient administrées chacune par un recteur. Il y avait une sévère hiérarchie, d’une part d’administrateurs, d’autre part de professeurs, tous dépendant les uns des autres, tous dépendant du ministre qui représentait l’État. Il y avait aussi une hiérarchie d’établissements superposés : Facultés et Écoles spéciales, Collèges royaux et Collèges communaux, à côté desquels vivaient des institutions privées, surveillées et contrôlées par l’État et se rattachant par un lien étroit au système général.

Cette Université avait un semblant d’indépendance. Elle avait rang de personne morale ; elle avait à ce titre droit de posséder, d’acquérir, de recevoir. Elle avait une dotation, des rentes, la permission d’établir et de percevoir des taxes. Elle avait un Conseil siégeant près du ministre. Mais son indépendance n’était qu’apparente. L’esprit autoritaire de son fondateur vivait incarné dans les lois qui la régissaient. Toutes les nominations étaient faites par l’autorité supérieure. C’était, en réalité, une institution d’État soumise à l’État, ayant pour fonction de répandre les doctrines de l’État, de conférer des diplômes d’État et de maintenir par là une sorte d’unité intellectuelle entre les membres de l’État.

Les maîtres dont elle était composée formaient une corporation qui recevait certains privilèges en compensation d’un engagement temporaire, et ils semblaient ainsi, comme une corporation religieuse, prononcer des vœux, moins stricts et moins durables que ceux des moines, mais les astreignant à certaines obligations, à une certaine réserve, à une certaine tenue. La robe que portaient encore les professeurs révélait en eux ce caractère du clergé laïque.

Le corps enseignant était divisé en trois groupes répondant à trois ordres