Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/222

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de la Révolution ; 1852 est célébré d’avance par le chansonnier populaire, Pierre Dupont, comme une date de délivrance :


C’est dans deux ans, deux ans à peine,
Que le coq gaulois chantera.


Le parti démocrate-socialiste fait ainsi effort pour s’adapter aux conditions créées par le suffrage universel. Il devient le véritable parti de l’ordre. Il a peur de faire peur et par là-même il est plus redoutable qu’il ne l’a jamais été. Montalembert dit, le 11 février 1851, en signalant les fissures qui s’ouvrent dans le bloc réactionnaire : « Ce qui sortira de là.., ce sera le socialisme, et non pas le socialisme insurgé, violent, brutal, par conséquent éphémère et facile à vaincre ; non, ce sera le socialisme légal, le socialisme électoral, c’est-à-dire un mal irrémédiable ou pour lequel du moins je ne conçois aucun remède humain. »

Le fait est que ce socialisme apaisé et atténué faisait des recrues imprévues. A l’Assemblée Lamartine avait distingué trois socialismes, l’un niveleur, l’autre chimérique, le troisième qui était une aspiration vers le progrès social, et, en condamnant les deux premiers, il avait proclamé la légitimité du dernier. Jules Favre avait dit aussi (24 mai 1850) : « Le socialisme, ce n’est pas autre chose que l’esprit humain en action et en exercice ; c’est le rationalisme ; c’est la raison humaine dans sa liberté et son indépendance ; c’est l’éternelle opposition de la pensée contre le fait ; c’est la protestation du droit, violente, passionnée, comme vous voudrez l’appeler, mais qui ne saurait être dangereuse pour la société qu’à la condition qu’on en entravera la manifestation. » Comme il est naturel, c’est par son côté moral bien plus que par son caractère économique qu’il conquiert des amis dans le monde bourgeois. Très vague sur les moyens de supprimer la misère, il se fait résolument anti-clérical, et les penseurs de la bourgeoisie le dressent fièrement en face du vieux catholicisme comme son ennemi et son héritier laïque. C’est le sens de l’article courageux qu’un jeune professeur, Emile Deschanel, écrit, dans la Liberté de penser, sous le titre de : Catholicisme et socialisme. Il y revendique le nom de socialiste, non seulement pour lui-même, mais pour tous les républicains, pour tous les gens de cœur, et il déclare que le socialisme, injurié, vilipendé, décrié, est au XIXe siècle ce que fut le protestantisme au XVIe et la philosophie au XVIIIe. Littré, le positiviste, écrit à son tour : « L’avènement du socialisme au sein des masses populaires est le fait le plus décisif et en même temps le plus salutaire, qui, depuis 1789, soit arrivé dans l’Occident » ; et il raille ceux qui croient l’enrayer en rendant par le macadam les barricades presque impossibles. Quinet le définit la réalisation du christianisme universel par la sanctification du travail. Renouvier voit en lui une doctrine ou plutôt un ensemble de doctrines dont l’esprit commun consiste à reconnaître à l’État des devoirs et des droits plus étendus que par le passé et à resserrer les liens de solidarité qui