Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/228

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que l’Assemblée consentît à discuter la révision intégrale.

Mais autre chose était de lui faire accepter cette discussion (il suffisait pour cela de la moitié des représentants plus un), autre chose était de lui faire voter la révision elle-même. (La Constitution exigeait les trois quarts des voix pour que la décision fût valable). Le rapport de Tocqueville fut favorable sans enthousiasme. Les divers partis profitèrent de l’arène ouverte à leurs ambitions rivales pour déployer chacun leur drapeau. Les « blancs », par la bouche de Falloux et de Berryer, vantèrent les mérites de la monarchie ; Michel de Bourges et Cavaignac leur opposèrent ceux de la République. Ce fut aussi, en dehors de l’Assemblée, une occasion pour les théoriciens de scruter à fond le problème politique et il se produisit des courants d’idées dont nous parlerons plus tard. Mais parmi les représentants la crainte de créer un consul et un futur empereur, d’avoir, suivant l’expression de Victor Hugo, Napoléon le Petit après Napoléon le Grand, l’emporta. La révision recueillit 463 voix contre 270. C’était moins que le chiffre voulu ; elle était rejetée (19 Juillet 1851).

La situation ainsi créée était révolutionnaire : toute issue légale était fermée aux prétentions du Président. De plus, une minorité de parlementaires faisait échec à la volonté de la majorité, et, qui pis est, à ce qui paraissait être aussi le vœu de la majeure partie de la nation. Le coup d’État, dont on parlait depuis si longtemps, devenait imminent et acquérait un semblant de raison d’être. Il était immédiatement décidé. On pensait profiter des vacances de l’Assemblée pour la dissoudre et en appeler au peuple. Dès le 11 août, plusieurs des décrets qui devaient tranformer la Constitution étaient rédigés. Puis l’opération, fixée en septembre, était encore ajournée. Il fallait des complices sûrs au chef de l’entreprise. Il lui fallait aussi une préparation de l’opinion publique, une combinaison qui lui permît à la fois de se poser auprès de la bourgeoisie en sauveur de la société menacée par le socialisme et auprès du peuple en ami de la démocratie, mis de moitié par l’Assemblée dans toutes les mesures de compression, mais empêché par elle, ainsi qu’il l’avait dit le ler juin à Dijon avec une imprudence peut-être calculée, quand il voulait venir en aide aux classes populaires.

Comme exécuteur de coup de main, il a tâté Castellane qui aime mieux rester à Lyon, en réserve. Il fait alors venir d’Algérie des généraux et des colonels habitués par la guerre coloniale au mépris du droit et de tout ce qui n’est pas militaire, Canrobert, Magnan, Fleury, Espinasse, etc. Parmi eux il a jeté les yeux sur un soldat de fortune, Leroy de Saint-Arnaud plus, riche d’ambition que de scrupules et qui a déjà offert ses services contre les Parisiens, en février 1848. On lui a ménagé un facile triomphe en Kabylie, puis confié le commandement d’une division à Paris. Magnan, qu’on tient par ses besoins d’argent, a été nommé commandant en chef de l’armée de Paris. Parmi les civils, le prince est en correspondance avec Maupas,