Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/371

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arbitral (amendement que le gouvernement acceptait). L’Assemblée pouvait choisir entre les deux préavis contradictoires qui lui étaient soumis.

Mais la question du rachat se trouve liée par les évènements à celle des Ateliers nationaux et ce fut un grand malheur pour lui et pour eux.Le gouvernement comptait, et il ne s’en cachait pas, sur les travaux qui seraient ainsi mis à sa disposition, pour employer utilement les ouvriers inoccupés. Il cherchait donc à l’obtenir avant la dissolution des ateliers qu’il voulait lente et progressive. Ce fut une des raisons qui décidèrent ses adversaires à hâter cette suppression. Donc la discussion du rachat à l’Assemblée fut retardée, quand le gouvernement voulait la presser ; on modifia l’ordre du jour pour inscrire auparavant le projet de loi sur les boissons (17 juin). Puis, quand le Gouvernement, en présence de l’insurrection imminente, eût voulu l’ajourner, on lui refusa tout délai, si bien que le ministre, ayant alors avec ses collègues d’autres soucis plus urgents, ne put pas même défendre son œuvre à la tribune.

La discussion générale commença le 22 Juin, le jour même où les ouvriers des Ateliers nationaux, mis en demeure de quitter Paris ou de s’enrôler, étaient déjà en pleine ébullition. Quoique troublée par l’accompagnement tragique que lui faisait la guerre civile, elle fut sérieuse et brillante. Les deux discours les plus remarqués furent ceux de Mathieu de la Drôme et de Montalembert, l’un pour, l’autre contre le projet. (Sur le rôle de Montalembert, voir plus haut page 76). Les arguments que font valoir les adversaires peuvent se résumer ainsi :

1° La mesure est injuste. Oui, l’État a le droit de racheter, mais seulement après 15 ans d’exploitation et les 15 ans ne sont pas révolus. L’État a-t-il le droit d’exproprier ? Parmi les membres du Comité des finances, une minorité le lui dénie ; la majorité le lui concède ; mais cette expropriation, à la supposer légale, n’est pas nécessaire. Les Compagnies, sauf deux ou trois, sont en mesure de remplir leurs engagements. Donc forcer celles qui ne le veulent pas à résilier leurs contrats avec l’État serait une atteinte au droit sacré de propriété.

2° La mesure est contraire aux principes de l’économie politique. On part de cet axiome : Les travaux publics doivent être payés par ceux qui en profitent, un axiome terriblement équivoque qui pourrait mettre le creusement d’un port à la charge de la ville où il est situé. Or, si l’État reprend à son compte les chemins de fer, les frais que coûtera l’opération devront être pris sur le budget, par conséquent payés par les campagnes qui n’en profiteront pas. Nous avons rencontré le même raisonnement contre l’abaissement du tarif postal. Un orateur proposa de décider que les routes font partie du domaine communal et non national ; on opposait ainsi l’individualisme le plus étroit à la conception de la solidarité sociale, et l’on ne se doutait pas que l’organe peut créer le besoin, qu’une fois les déplacements et la corres-