Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/78

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habitant les garnis de Paris depuis moins de six mois seraient renvoyés dans leur pays d’origine. Il avait demandé en même temps que les Ateliers nationaux, arme trop puissante pour être laissée entre les mains du pouvoir exécutif, fussent mis sous la juridiction d’une Commission de la Chambre dont lui-même ne serait plus que l’agent responsable. Ainsi, d’une part, un projet teinté de socialisme qui visait à prolonger indéfiniment l’existence des Ateliers nationaux, de l’autre, une invitation à l’Assemblée d’enlever au gouvernement une gestion dont il était accusé de s’acquitter mal et dont il pouvait se servir dans un intérêt politique — telles étaient les mesures essentielles réclamées par Émile Thomas. C’était plus qu’il n’en fallait pour que ce directeur, si longtemps cher aux modérés du Gouvernement provisoire, leur devint suspect et leur parût mériter d’être brisé.

Trélat, qui assistait à la séance du Comité, y avait fait cette déclaration au sujet des Ateliers nationaux : Il faut qu’ils cessent au plus vite. — Déjà le 15 mai, au matin, Caussidière avait reçu, signé de Garnier-Pagès et d’Arago, un ordre qui resta lettre morte, mais qui prescrivait d’enrôler les ouvriers des Ateliers nationaux âgés de 18 à 25 ans et de renvoyer tous ceux qui refuseraient de s’engager. En exécution de la même pensée, Emile Thomas recevait du ministre le matin du 24 mai, un arrêté dont voici les principales dispositions :

1° Les ouvriers célibataires, âgés de dix-huit à vingt-cinq ans seront invités à s’enrôler sous les drapeaux de la République pour compléter les différents régiments de l’armée. — Ceux qui refuseront de souscrire des engagements volontaires seront immédiatement rayés des listes d’embrigadement des Ateliers nationaux ;

2°… Les ouvriers qui ne pourront justifier régulièrement d’une résidence de six mois, avant le 24 mai, seront congédiés et cesseront de recevoir des salaires et des secours ;

3°… Les patrons pourront requérir tel nombre d’ouvriers qu’ils déclareront nécessaires à la reprise ou]à la continuation de leurs travaux. Ceux qui refuseront de les suivre seront à l’instant même rayés de la liste générale des ateliers nationaux ;

4°… Les ouvriers restants « seront tenus de travailler à la tâche et non à la journée » ;

5°… Il sera organisé, dans le plus bref délai possible, des brigades d’ouvriers que l’on dirigera dans les départements pour être employées, sous la direction des Ponts et Chaussées, à l’exécution des grands travaux publics.

À cet ultimatum, qu’il est chargé d’exécuter « avec la plus grande célérité possible », E. Thomas oppose l’engagement pris par le Gouvernement provisoire de fournir du travail à tout citoyen et le danger que présente pour la paix publique une série de mesures aussi dures et aussi brusques. Il refuse d’être le bouc émissaire sur qui retombera la responsabilité des désordres qui sont à prévoir. Refus très compréhensible, en même temps qu’insubordination très nette. Il semble cependant s’obstiner à rester quand même à la tête de l’œuvre qu’il a