Page:Jaurès - Histoire socialiste, IX.djvu/87

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si l’on estime qu’il ne va pas assez vite. Persistant pourtant à se défendre, il cherche une diversion en attaquant les socialistes, qu’il accuse d’avoir déposé un levain de haine au fond des cœurs. Mais cela ne suffit pas à lui ramener la majorité. Il déchaîne des tempêtes en révélant les insultes dont les ouvriers ont été l’objet dans la Commission Parlementaire, insultes démenties par Falloux, mais attestées par le ministre, par Agricol Perdiguier, et très vraisemblables ; car la presse conservatrice ne cesse de répéter qu’il y a dans les ateliers nationaux, les uns disent 5.000, les autres 10 ou 15.000, d’autres 40.000 forçats.

Chacun sent venir une catastrophe. Le 20 juin, Victor Hugo signale deux monstres aux aguets : la guerre civile et la guerre servile. Il supplie de ne pas les déchaîner. Mais est-il temps encore de leur barrer la route ? Léon Faucher déclare que le rachat des chemins de fer ne procurerait pas plus de besogne et il n’offre au mal qu’un remède aggravant : c’est d’effacer de toutes lois les mauvais principes, toutes les attaques à la propriété, allusion voilée à la reconnaissance du droit au travail. Que faire donc ? On soulève de tardives et mesquines chicanes entre l’État et la Ville de Paris. Caussidière, appuyé par Waldeck-Rousseau au nom du Comité des travailleurs, fait un effort désespéré, demande dans son langage pittoresque qu’on jette toutes les divisions dans un sac, qu’on agisse au lieu de parler, qu’on vote des millions et des millions s’il le faut, pour réveiller l’exportation par des primes, pour défricher des terres incultes et les biens communaux. Mais la Commission parlementaire mise en demeure de donner ses idées, se dérobe. Goudchaux déclare en son nom qu’elle étudiera, cherchera. Falloux se vante, dans ses Mémoires, de lui avoir apporté une quantité de projets concertés entre lui et le vicomte de Melun, projets qui eussent tout sauvé, semble-t-il dire : assainissement des quartiers populaires, destruction des logements insalubres, protection des enfants dans les manufactures, amélioration des caisses d’épargne, etc. Il prétend que les républicains auraient été surpris de ce zèle réformateur et que Goudchaux se serait écrié : « Je suis noyé sous ce flot d’innovations. » Vraiment c’eût été s’effarer à bon marché ! Ces mesures honnêtes et anodines, quintessence de la philanthropie catholique, étaient des remèdes à bien longue échéance, autant offrir à un blessé, dont le sang coule avec la vie, des sirops et des tisanes ! C’est ce que pensa sans doute la Commission en renvoyant aux Calendes grecques, à une voix de majorité, ce magnifique projet. Quant au Gouvernement, invité à prêter directement des millions aux patrons, comme cela s’est fait en 1830, il s’y refuse, faute d’argent. En somme, rien de pratique, rien qui pare au danger pressant. Rien que le vote du décret proposé par la Commission et qui met le Gouvernement à sa merci !

Faible jusqu’au bout, le Gouvernement accepte le rôle de bourreau qu’on lui impose. Le 21 juin au matin, paraît au Moniteur l’arrêté portant que tous les ouvriers de 18 à 25 ans, inscrits sur les listes des Ateliers nationaux, devront s’enrôler dans l’armée, et que les autres devront se tenir prêts à partir pour aller faire, dans les départements qu’on leur désignera, des