Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/100

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Quoi qu’il en soit, dans la soirée du 30 floréal (19 mai) était affiché et distribué à profusion un placard invitant les citoyens et les citoyennes à se porter en masse le lendemain à la Convention pour demander : du pain, l’abolition du gouvernement révolutionnaire, l’application immédiate de la Constitution de 1793, l’arrestation des membres des comités de gouvernement et leur remplacement par d’autres pris dans la Convention, la mise en liberté des patriotes détenus, la réunion des électeurs le 25 prairial (13 juin) pour le renouvellement de toutes les autorités, la fixation au 25 messidor (13 juillet) de la convocation de la nouvelle assemblée. Le mot de ralliement devait être : Du pain et la Constitution de 1793 ; le manifeste insurrectionnel dont le titre était : « Insurrection du peuple pour obtenir du pain et reconquérir ses droits », portait expressément : « Les personnes et les propriétés sont mises sous la sauvegarde du peuple » (Moniteur du 4 prairial-23 mai, dans le compte rendu de la séance du 1er).

Le 1er prairial (20 mai), dès cinq heures du matin, les rassemblements se formaient et bientôt le comité de sûreté générale faisait appel aux sections pour protéger l’assemblée. Ouverte à onze heures sous la présidence du Girondin Vernier, la séance débuta par la lecture de l’acte insurrectionnel ; une loi contre les attroupements, aussitôt proposée, venait d’être votée quand, tout à coup, des femmes envahirent les tribunes en criant : Du pain ! André Dumont ayant pris la présidence et donné à un officier l’ordre de faire évacuer les tribunes, celui-ci procédait à cette opération accompagné de quatre fusiliers et de deux muscadins armés de fouets de poste (Moniteur du 5 prairial-24 mai, dans le compte rendu de la séance), lorsque la porte de gauche ébranlée sous les coups céda, livrant passage aux insurgés ; au même instant entraient par la porte de droite des sectionnaires en armes qui cherchèrent à les repousser. Une lutte s’engagea dans la salle, tandis qu’à l’extérieur la foule grossissait et que les gardes nationaux stationnaient inactifs. C’est pendant cette lutte que tomba de la poche d’un insurgé un morceau de pain qui donna lieu à une nouvelle édition du miracle de la multiplication des pains. Ce morceau, en effet, se multiplia tout de suite, et a continué à se multiplier dans certaines histoires réactionnaires, au point que chaque insurgé aurait pu ouvrir un fonds de boulangerie.

À trois heures et demie, les insurgés, renforcés par de nouveaux arrivants, étaient maîtres de la salle. Un représentant, Féraud, qui avait été pendant toute la journée dans un état de surexcitation extravagante, crut, dit-on, le président menacé, c’était en ce moment Boissy d’Anglas ; en tout cas il chercha à escalader la tribune, aidé par un officier et retenu par un insurgé que l’officier frappa d’un coup de poing. Une femme était là qui avait été enfermée comme folle à la Salpêtrière, Aspasie Carle Migelly, elle riposta au coup de poing par un coup de pistolet qui atteignit Féraud. En le voyant tomber, certains de ses collègues prononcèrent son nom que la foule comprit