Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/27

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sieurs inconnus, où il ne fut et ne pouvait pas être question d’aucune connivence. Pourquoi empoisonner une action aussi simple ? Par quelle fatalité espérez-vous la métamorphoser en une présomption propre à me condamner ? Mais il se trouvera des hommes justes qui pénétreront les motifs de votre inexorable acharnement qui ne vous laissait rien négliger, et ils distingueront entre vous et moi. Malheur alors aux vrais coupables ! »

Le jury, interrogé uniquement, c’est à constater, sur le fait matériel de modification de l’acte, alors que la question d’avoir agi « méchamment et à dessein de nuire » s’imposait d’après l’art. 41 (section 2, titre II) du Code pénal du 25 septembre 1791, déclara, le 29 mars 1793, qu’il n’y avait lieu à accusation que contre Babeuf qui l’avait faite. En définitive, de la part de Babeuf, il y eut, suivant son mot, dans les notes biographiques du dossier, « inadvertance » reconnue et réparée tout de suite. Ainsi qu’en témoigne l’original de l’acte, il opéra d’une façon si naïve, si ouverte, que cela suffit à exclure de sa part toute intention répréhensible et implique chez lui la conviction que Devillas lui disait la vérité. Dans le cas contraire, en effet, il n’aurait pas pu ne pas soupçonner que Levavasseur ne se laisserait pas évincer sans protester, et, ayant la volonté de commettre un faux, Babeuf aurait plus ou moins habilement tenté de le faire de telle sorte que l’inscription même du nom de Levavasseur fût au moins contestable. S’il y eut un coupable dans l’affaire, il n’est pas douteux que ce fut Devillas cherchant peut-être à ne pas tenir une convention faite et, de toute manière, l’instigateur de l’acte reproché à Babeuf ; or, le jury d’accusation ayant, en ce qui concerne Devillas, à se prononcer contradictoirement, décide qu’il n’y a pas matière à accusation, et Babeuf serait coupable d’avoir satisfait à une demande estimée n’être pas répréhensible ! Le tribunal criminel d’Amiens n’en condamna pas moins par contumace Babeuf à vingt ans de fers (23 août 1793).

Celui-ci qui, avec juste raison, disait : « Où il n’y a point de corrupteurs, il n’y a point de corrompu », resta à Paris sans se cacher et y fit venir sa femme et ses enfants. Le 24 brumaire an II (14 novembre 1793), sur la réquisition du procureur-syndic du district de Montdidier, qui était alors Varin, il était arrêté. Mais tout en mettant Babeuf en état d’arrestation, « les administrateurs du département de police de la municipalité de Paris », Mennessier et Dangé, — le premier devait être, lors de la Conjuration des Égaux, l’agent pour le IIIe arrondissement (chap. xiii), et un des agents les plus zélés, du comité secret — écrivaient à Varin : « Le citoyen Babeuf, avant d’être attaché à l’administration des subsistances de Paris et pendant tout le temps qu’il y a été employé, n’a donné lieu, au moins à notre connaissance, à aucun reproche à son égard du côté du civisme ni de la probité ; et c’est pour nous un puissant motif de lever des doutes sur la légitimité des motifs qui l’ont fait condamner à vingt années de fers », et ils lui demandaient de leur procurer « tous les moyens possibles de statuer en connaissance de cause sur