Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/326

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n° 41 (10 germinal-30 mars) et, dans son n° 42 (24 germinal -13 avril), après avoir dit : « nous recevons dans nos rangs tous les hommes trompés », il ajoutait, faisant allusion aux Fréron, aux Tallien, aux Legendre, aux Barras : « nous ne devons même pas souffrir que ces êtres odieux prennent un fusil et s’alignent, comme simples soldats, au milieu de nous ». Que Barras ait eu des projets hostiles à ses collègues du Directoire et qu’il ait cherché à se servir des patriotes, Montagnards et Égaux, c’est possible ; mais il échoua des deux côtés : Carnot était averti de ses intrigues avant même de connaître, par la saisie des pièces, la lettre de Germain à Babeuf, et les Égaux refusèrent de tirer les marrons du feu pour lui ; le dépit de ce dernier échec, alors qu’il ne se savait pas encore découvert par Carnot, expliquerait son attitude. Quoi qu’il en soit, le gouvernement était sur ses gardes ; mais c’est par Grisel qu’il eut les détails précis.

Le comité secret attribua tout d’abord la descente de police chez Drouet à la trahison et ses soupçons se portèrent même un instant sur un des plus dévoués de ses membres, sur Germain, à cause de son absence le 19 floréal. Grisel suggéra à Darthé que, s’il y avait un traître parmi les conjurés, la police, au lieu de n’aller que chez Drouet, se serait rendue en même temps rue de la Grande-Truanderie où Babeuf était caché et où étaient les papiers ; or, Grisel le déclara pendant le procès, cela n’avait pas eu lieu simplement parce qu’il ne savait « pas avec précision où demeurait Babeuf  » (Débats, t. II. p. 107) ; étant allé, le 11 floréal (30 avril), rue de la Grande-Truanderie, « je crus, dit-il (Idem, p. 92), remarquer la porte de la maison… je me trompai, car je passai le lendemain dans la même rue ; je crus que cette porte était le numéro 27 mais depuis j’ai su que c’était le numéro 21 » ; il ne le sut que le 21 (10 mai) dans la matinée (Idem, p. 114). Son raisonnement frappa les conjurés et dissipa toutes leurs alarmes ; écartant toute idée de trahison, ils ne virent plus dans la démarche de la police qu’un effet de sa surveillance. Ils décidèrent de se réunir dans la journée du 21 floréal (10 mai) chez Dufour, menuisier, 331, rue Papillon, afin de prendre les dernières mesures.

Avant l’heure fixée pour cette réunion, Babeuf, en train de rédiger le numéro 44 de son journal, Buonarroti et le secrétaire Pillé étaient arrêtés chez Tissot, tailleur, rue de la Grande-Truanderie, 21 — la maison a disparu lors du percement de la rue de Turbigo — par Dossonville, inspecteur général adjoint de la police, qui dit dans son rapport (Archives nationales, F7, 4 278) : « Je crus qu’il était prudent de faire semer le bruit que c’était une bande de voleurs et d’assassins qu’on arrêtait ». Presque au même moment, Darthé, Germain, Didier, Drouet, Ricord et Laignelot étaient arrêtés chez Dufour. Ils furent tous conduits à la prison de l’Abbaye, qui s’élevait sur l’emplacement actuel du boulevard Saint-Germain, à la hauteur du numéro 168. L’armée de l’intérieur, à la tête de laquelle Hatry avait succédé à Bonaparte, était sous les armes et le peuple ne protesta pas. Cependant, si on