Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/499

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

p. 324, note), on avait « bridé les Cisalpins », n’avait été que difficilement ratifié, les 12 et 20 mars, par les Conseils de la jeune République. Aussi, Brune, après avoir pris, le 14 germinal (3 avril), le commandement de l’armée d’Italie (chap. xvi, § 2), cherchait à briser la résistance que les débats relatifs à ce traité avaient révélée. Le 24 germinal (13 avril), conformément aux instructions du Directoire (Sciout, Le Directoire, t. III, p. 252), il exigeait l’exclusion de deux directeurs et de neuf députés. À ces abus d’autorité s’ajoutaient d’autres vexations. Dans une lettre du 8 germinal an VI (28 mars 1798) au Directoire, Scherer, ministre de la guerre, avouait que, à la date du 30 ventôse (20 mars), la Cisalpine payait 73 000 rations, alors que l’armée complète d’Italie ne comptait que 36 000 hommes (Idem, t. IV, p. 3, note). Ces procédés, ces charges et peut-être aussi le mécontentement de ne pouvoir, par suite du traité de Paris, satisfaire des velléités d’agrandissement, occasionnèrent des plaintes qui, venant en même temps que des rapports de quelques-uns de nos agents, par exemple Daunou et Faipoult alors commissaires près de la république romaine, où étaient dénoncés les abus de l’autorité militaire, et que certaines incitations de politiciens milanais cherchant à mettre le Directoire français au service de leur politique particulière, poussèrent celui-ci à vouloir réfréner l’autorité militaire et fortifier le pouvoir exécutif local. Trouvé nommé, le 15 pluviôse (3 février), ambassadeur à Milan où il n’arrivait que le 26 floréal (15 mai), eut mission d’opérer la réforme constitutionnelle en ce sens, mais, afin de ne pas éveiller les susceptibilités de l’Autriche déjà trop portée à suspecter la réalité de l’indépendance de la Cisalpine à l’égard de la France, en sauvegardant les apparences, de façon à ce que l’initiative semblât venir des Cisalpins ; il était accompagné de Faipoult chargé d’établir un plan de finances.

Les choses traînèrent d’abord en longueur, à cause de la résistance du général Brune qui eut un écho à la tribune des Cinq-Cents. À la séance du 3 fructidor an VI (20 août 1798), Lucien Bonaparte demanda la parole pour une motion d’ordre et stigmatisa le coup d’État projeté contre la Constitution cisalpine, calquée sur la Constitution de l’an III : « On vous écrit qu’une atteinte à la Constitution cisalpine ne serait qu’un essai sur la nôtre ; mais avant qu’une telle atteinte soit portée à notre pacte social, je le déclare et j’en jure, il faudra se résoudre à passer sur le corps de plus d’un représentant du peuple… C’est le système qui a fondé la tyrannie de César… Proclamons donc que la Constitution de l’an III est la volonté inébranlable du peuple, que la revision ne peut s’obtenir que par les moyens constitutionnels, que la préparer par d’autres moyens est un attentat ». Quatorze mois et demi plus tard (chap. xxii), il prouvait la sincérité de son amour pour la Constitution en contribuant à la briser. Le Conseil des Cinq-Cents passa à l’ordre du jour et, le 13 fructidor (30 août), le coup d’État fut opéré à Milan : les troupes françaises gardèrent les suites des conseils ; ne furent admis que