Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/566

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l’avis émis par les Jacobins dans leur dernière séance, un député de leur parti, Chamoux, se basant sur la gravité de la situation, réclama au Conseil des Cinq-Cents, le 26 thermidor (13 août), la formation d’une commission de sept membres chargée de présenter des mesures de salut public. C’était là, à leurs yeux, sous l’action réelle de leur plan de politique intérieure, sous l’action apparente du péril extérieur, le début du plagiat complet du système gouvernemental que ce péril avait inspiré à la Convention. Les modérés du Conseil, anciens ou nouveaux, tels que Lucien Bonaparte, le comprirent tout de suite et, pouvant justement craindre de n’avoir pas la majorité dans les Cinq-Cents sur la question de fond, par une tactique habile, ils ne combattirent pas le principe même de la proposition, concentrèrent tous leurs efforts sur le mode de nomination de cette commission et obtinrent qu’elle serait nommée par le Conseil lui-même, alors que, d’habitude, les commissions étaient formées par le bureau des Cinq-Cents d’après des inscriptions préalables sur un registre spécialement institué à cet effet le 27 thermidor an IV (14 août 1796). D’une question d’idées où les opinions pour ou contre ont à s’affirmer nettement, ils faisaient ainsi une question de personnes où les sympathies et antipathies individuelles ont libre jeu et aboutissent à des concessions inavouées. Sur sept membres, ils firent passer quatre des leurs, Chénier, Daunou, Lucien Bonaparte, Eschasseriaux aîné ; les trois autres étaient Boulay (de la Meurthe), Berlier et Lamarque. Les modérés de droite avaient la majorité et, de la sorte, la commission était d’avance annihilée.

Au même moment, le parti Sieyès, préoccupé de rendre son grand homme intéressant, s’efforçait d’accréditer le bruit que, le 23, lors de la fête commémorative du 10 août, il avait miraculeusement échappé à une tentative d’attentat. Voici comment s’exprimait le Moniteur du 27 thermidor (14 août) : « On a répandu depuis deux jours un bruit que nous ne pouvions croire, mais qui se conforme à chaque instant ; c’est que le 23, lors du combat simulé qui eut lieu au Champ-de-Mars, il fut tiré deux coups de fusil à balles. Elles ont percé, dit-on, la décoration contre laquelle étaient assis les membres du Directoire et, précisément, au-dessus de leurs têtes ». Or le rapport du Bureau central du 25 thermidor (12 août) dit (recueil d’Aulard, t. V, p. 676) : « On a su que de légers accidents y avaient eu lieu. Le royalisme avait d’abord essayé de les interpréter : ses efforts ont été entièrement inutiles » ; et Fabre (de l’Aude), dans son Histoire secrète du Directoire (t. IV, p. 249), confirme : « Aucun accident pareil n’arriva ». Naturellement, on accusa les Jacobins et on en profita pour prendre une mesure de réaction. Le lendemain même de la fête, le 24 thermidor, 11 août. — (Moniteur du 26-13 août), le ministre de la guerre Bernadotte écrivait par ordre à Marbot : « Il est onze heures du soir, et je vous transmets de suite l’arrêté du Directoire exécutif que je viens de recevoir à l’instant… Le général Lefebvre est nommé pour vous remplacer dans le commandement de la 17e division ».