Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/88

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du 19 vendémiaire an III (10 octobre 1794) — des emprunts qu’ils avaient pu contracter, la masse d’assignats recueillis par eux à vil prix. De là une effrénée campagne de baisse, avec des hauts et des bas savamment ménagés par la haute bourgeoisie au gré de ses intérêts.

Il ne lui suffit pas d’agir directement sur le cours des assignats, elle travailla à déprécier les biens qui leur servaient de gage et à cela elle eut double profit : elle écrasait plus facilement les assignats et pouvait acquérir à meilleur compte les biens nationaux mis en vente. La valeur de ceux-ci devait diminuer rapidement et était en général, au commencement de 1795, bien au-dessous de ce qu’elle était en 1790 (voir notamment ce qui fut dit au Conseil des Anciens les 11, 12 et 13 thermidor an IV-29, 30 et 31 juillet 1796). Pour obtenir ce résultat, les spéculateurs, aidés en cela par les prêtres et les royalistes que poussait la haine de la Révolution, propageaient habilement le bruit d’un prochain changement de régime qui annulerait les ventes effectuées et obligerait les acquéreurs à restitution (rapport de police du 11 nivôse-31 décembre). La réaction qui s’opérait, donnait crédit à ce bruit. Bientôt même, à la réaction d’ordre général venaient s’ajouter des lois spéciales, telles que celle du 30 ventôse (20 mars) ordonnant de surseoir à la vente des biens confisqués par suite de jugements ; celle du 14 floréal (3 mai) décidant que les biens des personnes condamnées par les tribunaux révolutionnaires depuis le 10 mars 1793 seraient, sauf quelques exceptions à déterminer et d’autres visant notamment la famille des Bourbons, les émigrés et les faux-monnayeurs, rendus à leurs familles ; celle du 21 prairial (9 juin) portant que, dans les cas où les biens confisqués auraient été vendus, il ne serait restitué aux héritiers que le prix de la vente, ajoutant aux exceptions déjà faites les héritiers de la Du Barry et des Robespierristes exécutés, excluant également du bénéfice de la restitution des biens les condamnations prononcées depuis la loi du 8 nivôse an III (28 décembre 1794) qui avait réorganisé le tribunal révolutionnaire, mais ouvrant la porte, étant données les nouvelles administrations, à la possibilité d’accorder à de nombreux émigrés, présentés comme Girondins frappés « pour prétendu fédéralisme », la radiation sur les listes des exclus ; celle du 13 messidor (1er juillet) suspendant la vente des « biens des ecclésiastiques reclus, déportés ou sujets à déportation » ; celle du 22 fructidor (8 septembre) annulant la confiscation de ces biens. Enfin, une loi du 11 prairial (30 mai) amendant la loi du 3 ventôse (21 février) sur la liberté des cultes, dont il a été question dans la première partie de ce chapitre, avait, avec certaines réserves d’emploi civil,autorisé les communes à rendre aux cultes la jouissance des édifices religieux qui n’avaient pas été aliénés, mais seulement désaffectés, et « dont elles étaient en possession ». Où s’arrêterait-on dans cette voie ? L’inquiétude que cette question faisait naître, nuisait aux biens nationaux et aux assignats dont ils étaient la garantie. Cette garantie ébranlée, comme l’indiquait déjà Babeuf