Page:Jaurès - Histoire socialiste, V.djvu/96

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assurer une victoire immédiate dont il aurait pu rester au moins quelque avantage, elle laissa passer le temps, inactive, irrésolue, se bornant à conseiller à la foule de s’en aller ; ses membres ne devaient même pas retirer un bénéfice personnel de cette maladroite attitude.

Dehors, les gouvernants s’étaient ressaisis, on avait battu la générale, la garde nationale des quartiers du centre et la jeunesse dorée rassemblées cernaient bientôt la Convention. Conduits par Legendre et deux ou trois autres, les grenadiers pénétrèrent dans les couloirs, la baïonnette au bout du fusil, expulsèrent la foule qui se trouva dehors sans armes, en face des fusils et des canons des bataillons bourgeois, et se dispersa sans avoir ni tué ni blessé personne contrairement aux assertions calomnieuses de quelques modérés. La droite rentra, furieuse d’avoir eu peur, et entama aussitôt son œuvre de vengeance.

Pichegru, qui devait passer du commandement de l’armée du Nord à celui des deux armées réunies du Rhin et de la Moselle et venait d’arriver à Paris pour conférer avec les comités, était nommé général en chef des troupes parisiennes : pour la première fois, la Convention appelait un général à son aide ; avant deux mois, nous la verrons recourir à l’armée. Paris était déclaré en état de siège. La déportation immédiate, sans jugement, de Barère, Billaud-Varenne, Collot d’Herbois et Vadier était ordonnée ; mais le dernier s’était déjà mis à l’abri et ne devait être arrêté que quatorze mois plus tard (voir fin du chap. xiii) : on n’était pas fâché de se débarrasser ainsi d’un procès que la discussion du rapport de Saladin commencée le 2 germinal (22 mars) — la Convention entendit ce jour-là un courageux discours de Robert Lindet qui la défendait contre elle-même — révélait gênant pour beaucoup de Conventionnels responsables de ce qu’ils reprochaient à quelques-uns. Étaient, en outre, ordonnés, au milieu des plus répugnantes dénonciations, l’arrestation et le transfert au château de Ham de huit représentants, entre autres Choudieu, Amar, Huguel et Léonard Bourdon. Il y eut, le 13 (2 avril), quelques tentatives populaires pour empêcher l’exécution de ces mesures, par exemple l’arrestation de Léonard Bourdon et le départ de Collot, Billaud et Barère auxquels, d’après ce dernier, des manifestants en sens opposé cherchèrent de leur côté à faire un mauvais parti (Mémoires, t. III, p. 5) ; mais Bourdon fut pris sans difficulté, et si les voitures qui emmenaient Billaud et Barère furent arrêtées, le départ eut lieu le lendemain matin. Le 13 (2 avril) également, une réunion de manifestants dans la salle de la section des Quinze-Vingts se dispersa, sur l’intervention de Pichegru, sans avoir pris de décision.

Le 16 (5 avril), à la Convention, nouveaux décrets d’arrestation contre neuf représentants parmi lesquels Thuriot, Cambon et jusqu’à Laurent Le Cointre, l’ennemi acharné des Montagnards. La veille, un arrêté du comité de sûreté générale avait retiré toutes les permissions données pour la forma-