Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/100

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sens qu’il frappa d’un impôt de 100 millions « les principaux capitalistes, patentables et propriétaires », et s’il le leur rendit, il montre en tous cas que ce que veut, contre la fortune, la volonté politique, elle le peut. Malgré tout, les capitaux étaient timides et se refusaient à l’emprunt : un seul capitaliste, Ouvrard, s’offrait en réclamant un intérêt de 10 % ». Louis écarta l’usurier, et, puisque les capitalistes français fuyaient le gouvernement, il emprunta à Amsterdam et à Londres, créa pour les banques étrangères des rentes françaises, et reçut l’argent. En vain, le comte d’Artois avait promis l’abrogation des droits réunis, il les maintint ; il maintint les contributions exceptionnelles décrétées par Napoléon ; il put ainsi, non seulement gagner du temps, payer, fournir l’instrument de libération, mais rassurer, autour de lui, les intérêts sur lesquels il entendait fonder la rénovation financière de la France.

C’est une chose singulière et qui montre une fois de plus la survivance robuste des grands intérêts au milieu des bouleversements politiques, que l’attitude double et contradictoire qu’eut, dès son début, la Restauration. De l’année 1814 à l’année 1815, dans ces quinze mois où chaque journée semblait être la dernière de la patrie, tout semble s’être écroulé : en réalité, il n’y a eu qu’un changement politique, et, au fond, tout est demeuré pareil à ce que l’Empire avait trouvé ou avait formé. Nous l’avons déjà dit : les grandes administrations demeurèrent, en dépit de quelques déclamations, et même Charles X s’appuiera sur leur inertie centralisatrice. L’Université a gardé son monopole, partagé avec l’Église. La magistrature est demeurée quant à ses privilèges, qui, surtout en ce temps, étaient issus du fait social que crée la fortune, ou le titre, ou le nom. Mais on suspendit l’inamovibilité, on alla même jusqu’à faire attendre trois années aux magistrats l’investiture nouvelle du nouveau pouvoir, et cela, non par protestation contre le fond de l’institution, mais pour entreprendre, par la menace, sur l’indépendance des juges, et obtenir des arrêts qui fussent des services. Le Code civil — sauf la loi du divorce et la loi de substitution — demeura intact. Le Concordat, forgé par Bonaparte, après une tentative de revision demeurera le même. Ainsi la Restauration s’asseyait, en dépit de ses intentions, sur les assises mêmes du premier Empire : c’est par un changement dans les personnes, plus que par un changement dans les choses qu’elle s’est manifestée.

Au point de vue économique, cette vérité est plus saisissante encore, soit que l’on considère son attitude vis-à-vis du grand patronat ou vis-à-vis de la classe ouvrière. L’Empire, en élevant autour de l’Angleterre la barrière du blocus continental, avait amené, au point de vue économique, une situation nouvelle ; le marché intérieur, soustrait à la concurrence internationale, n’en subissait plus les fluctuations salutaires ; il était livré, comme une proie, à une grande aristocratie agricole et industrielle. L’importation