Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/122

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d’Erlon, qui avaient été visés par l’ordonnance du 24 juillet, et pour qui l’instruction judiciaire était légale. Drouet d’Erlon, Grouchy, Clausel furent condamnés à mort par contumace. Drouot, présent à l’appel de son nom, fut acquitté à la majorité de faveur, et Cambronne, tout couvert des blessures reçues à Waterloo, fut acquitté par cinq voix contre deux. Berryer, son défenseur, fut poursuivi devant le conseil de l’ordre pour avoir soutenu que Napoléon, à l’île d’Elbe, était devenu un souverain étranger, et que Cambronne, qui l’y avait suivi, avait pris du service auprès d’un souverain étranger et, par là, perdu la qualité de Français. Thèse paradoxale, mais qui était dans la liberté de la défense ! Berryer fut d’ailleurs épargné.

D’autres généraux, Bonnaire, Chartron, Travot furent poursuivis et c’est ici que vraiment tout l’odieux de l’accusation doit être rappelé. L’ordonnance limitative du 24 juillet ne les visait pas ; de plus la Chambre avait, le 12 janvier, voté une amnistie qui écartait d’eux toute poursuite. La veille du jour où cette loi allait être promulguée, on donna l’ordre par dépêche télégraphique d’ouvrir l’instruction de Travot et d’entendre au moins un témoin ; on ne le put. Le duc de Feltre fit juger que son seul télégramme valait comme un acte d’instruction, et la loi ne put couvrir les accusés. Accusés d’avoir participé aux événements du 20 mars, Chartron et Debelle opposaient en vain les dates auxquelles ils avaient agi et qui étaient de beaucoup postérieures à cette date. Ils furent condamnés à mort, et Chartron fut exécuté, Debelle soumis à la détention. Mouton-Duvernet, lui aussi, fut condamné et passé par les armes. Lefebvre-Desnouettes, Bruyer, Gilly, Gruger, Radet, qui avait arrêté le pape, les deux Lallemand furent condamnés à mort. Bonnaire fut déporté, et son aide de camp, Miclon, exécuté. Le général Travot, qui s’était attiré la haine des Vendéens en réprimant la chouannerie, fut livré au conseil de guerre de Rennes. Ce conseil était présidé par le général Canuel, instrument des haines rétrogrades, ennemi personnel de l’accusé, et qui refusa de se récuser. Le département était gouverné par M. de Viomenil, le même émigré sinistre et féroce qui avait assuré l’exécution des jumeaux de la Réole. Il voulut recommencer ses exploits, et il interdit à l’avocat qui devait défendre le général de lui prêter son ministère ; mais, pour l’honneur du barreau, il ne rencontra pas à Rennes la lâcheté dont le barreau girondin donna l’exemple, et il connut d’autres caractères que ceux des Ravez, des Esmerigue et des Martignac. Trois défenseurs s’offrent, dont l’inspecteur d’académie et le savant juriste Touilier, professeur à l’école de droit. Ils rédigent une consultation écrite, que treize avocats demandent comme un honneur de signer.

Vains efforts ! Travot est condamné à mort ; il échappa au supplice, mais l’un de ses défenseurs, M. Courtpont, fut poursuivi. On ne lui pouvait reprocher la consultation juridique, qui était hors des atteintes de la loi : on lui demanda compte de quelques points de suspension qui suivaient