Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/13

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rejoignit au bois de Boulogne, demeure décisif. Mais un chef tel que lui, habitué à tout prévoir et qui avait fait si souvent entrer la faiblesse humaine dans ses calculs, ne se contente pas de donner des ordres : il laisse des subordonnés capables de les comprendre et de les exécuter. Or, sur qui reposait, en ces journées décisives, la confiance de Napoléon ? Sur son frère Joseph dont il avait mesuré la médiocrité en toutes matières et en toutes occasions ; sur le ministre de la guerre Clarke, duc de Feltre, qu’une carrière exclusivement menée dans les bureaux prédisposait peu à des responsabilités soudaines. Puis, près d’eux Hullin, en qui le général n’avait pas effacé le simple soldat, Savary, absorbé par le contrôle minutieux et policier que comportait sa charge. Et c’est tout. Fallait-il s’étonner si ces médiocrités réunies n’avaient pu faire face au péril ? Une seule explication peut être tentée : c’est que Napoléon espérait revenir à Paris. Mais cependant, s’il devait revenir, pourquoi avait-il donné des ordres inconciliables avec sa présence ? Et, quand il a vu qu’il ne pouvait se rejeter dans Paris, pourquoi n’avoir pas chargé d’une mission de fermeté et de résistance un maréchal ? Il y avait bien Mortier, il y avait bien Marmont. Mais ils étaient venus, sans le savoir, s’engouffrer dans Paris, les Prussiens derrière eux ; et si, au lieu de se jeter dans ses murs, ils eussent bifurqué vers le centre ou vers la Loire, Paris n’avait pas un seul homme de guerre pour préparer sa défense.

La responsabilité générale de Napoléon est donc complète : c’est sur lui, à travers ses représentants médiocres et incapables, que pèse le poids de la capitulation qui se prépare. Il est vrai que, par certains détails, la responsabilité de Joseph et celle de Clarke sont mises en suffisant relief. Il n’était pas nécessaire d’être un homme de guerre accompli, il suffisait d’être un administrateur pour parer au péril. Il y avait dans Paris plus de soixante mille hommes, si l’on veut compter les gardes nationales, les officiers sans emploi et qui en réclamaient, les ouvriers anciens soldats, au nombre de vingt mille, et qui, rebutés dans leur requête, ne purent qu’errer, lamentables et inutiles, à travers une ville où, secrètement, tout ce qui était riche et possédait prenait parti pour l’ennemi. Tout cela manqua. Manquèrent aussi les canons. Il y en avait deux cents au parc de Grenelle : on en plaça six pour défendre Montmartre, six pièces de six auxquelles on apporta des boulets de huit ! Le pain, le vin manquèrent : et plus de soixante mille rations de pain, vingt mille de vin étaient rentrées dans Paris après l’avoir quitté. On put nourrir les alliés, on ne put nourrir les vingt et un mille combattants du dernier jour, qui, cependant, résistèrent au delà de l’épuisement humain.

Mais qu’importe ? Et même si Paris eût prolongé la résistance, même si l’empereur, tant attendu, eût pu se glisser parmi les défenseurs de la ville, même alors, le sort politique eût été semblable et semblable l’arrêt du des-